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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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n’osais vous le demander…
    — Vous avez de la chance, je suis invité demain soir chez Gabrielle de Nogaret, avec le comte de Neuville, vous nous accompagnerez.
    — C’est que… je dois retrouver ce soir-là l’abbé Renard, le prêtre avec qui…
    — Je me souviens fort bien de lui. Vous n’avez qu’à l’emmener.
    Antoine observa l’avocat d’un air songeur. Cet homme disposait des autres avec une facilité déconcertante ; comment pouvait-il se permettre de lancer des invitations chez Mme de Nogaret ? Quel ascendant avait-il sur Gabrielle, Éléonore et Neuville… ?
    — Ne craignez-vous pas que nous paraissions importuns ?
    — Ne vous préoccupez pas de cela. J’en fais mon affaire… Quant à vous, il vous reste à convaincre votre prêtre.
    Virlojeux fixa le Toulousain et lui dit sur le ton de la confidence.
    — Vous me ressemblez, Antoine. Je l’ai tout de suite compris, vous êtes un nomade comme moi. Les attaches vous encombrent ; vous aimez changer d’univers ; vous n’êtes vraiment à votre aise nulle part ; le jour, vous voilà galopant avec la populace, le fusil à la main et, le soir, soupant en compagnie de l’aristocratie parisienne ; et parce que vous n’appartenez vraiment à aucun de ces deux mondes, vous avez l’impression d’être libre. Vous apprendrez bientôt à les maîtriser l’un et l’autre.
    Antoine répondit par un demi-sourire. La pénétration de Virlojeux avait quelque chose de diabolique.
     
    Le soir même, il courut trouver l’abbé Renard pour le convaincre de se joindre au souper. Le prêtre, qui n’avait rien d’un mondain, commença par refuser ; puis, devant les objurgations du jeune homme, il céda.
    — Il faudra donc que je te serve de caution dans une affaire de cœur.
    — Non, mon père, ce n’est pas ainsi que je vois les choses. J’ai plutôt besoin de conseils. Vous le savez, je vous considère comme un membre de ma famille.
    L’abbé fut touché par cette réponse qu’il savait sincère.
    — Soit, je viendrai.

IV
    Le fiacre s’approchait de l’hôtel de Nogaret. Antoine et l’abbé Renard échangeaient les dernières nouvelles qu’ils avaient reçues de Toulouse et devisaient sur les affaires du temps.
    — La situation m’inquiète, confia le prêtre. Je suis heureux de voir le peuple conquérir sa liberté, mais j’abhorre la violence. J’ai appris de quelle manière la foule avait massacré le gouverneur de Launay, et, hier encore, l’intendant Bertier de Sauvigny ainsi que son beau-père Foulon. J’ai le sentiment de voir errer un navire sans pilote. Nous avons un roi si faible et une ville où fleurissent tant de beaux discours ! Je sais depuis longtemps que, derrière leur grandiloquence, les hommes nourrissent des appétits vulgaires…
    Antoine jugeait les inquiétudes de l’abbé excessives ; il était convaincu qu’en raison de son âge, il surestimait le danger. Mais il se retint de le provoquer.
    — Vous avez raison, le peuple s’est acharné contre le gouverneur de la Bastille, je l’ai vu de mes yeux. Le pauvre homme réclamait la mort.
    — Comment ? Tu y étais, Antoine, avec cette meute ?
    — Oui, je l’avoue et, d’ailleurs, j’en suis assez fier, non pas du massacre, bien sûr. Mais, vous l’avez dit vous-même, le peuple a conquis sa liberté.
    — Crois-tu que les victimes méritaient leur sort, qu’elles étaient en réalité coupables et qu’en somme le peuple s’en est fait justice ?
    — Je l’ignore.
    — Mais tu dois le savoir ! Nul ne peut disposer ainsi de la vie des autres.
    — Je me souviens pourtant d’une ville, la nôtre, où le Parlement fit rompre les os d’un innocent, par fanatisme, par haine des protestants. La vie des autres ? Les juges du despotisme n’en ont-ils pas toujours disposé à leur aise ?
    — Un crime n’en excuse pas un autre. Tu m’effraies Antoine, toi qui as toujours été si respectueux envers tes aînés, je ne te connaissais pas cette virulence ni ce ton impudent. Le voisinage de la populace t’a bien effilé le caquet.
    Le jeune homme ne voulait pas confier au prêtre son déchirement intérieur ni l’étrange conversation qu’il avait eue avec Virlojeux.
    — Pardonnez-moi, mon père, je me suis emporté bêtement.
    — Oui, bêtement en vérité ; tu sais d’ailleurs que, sans avoir la notoriété ou la plume d’un Voltaire, j’ai dénoncé autrefois la parodie du procès fait à ce pauvre

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