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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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bredouilla Antoine, je ne m’attendais plus à vous trouver ici. Comme vous aviez eu la bonté de me le proposer, je me suis permis de…
    — Allons, allons, interrompit l’avocat, je vous en prie, pas de cérémonie entre nous, nous sommes du même monde, ne l’oubliez pas.
    Loisel examina un instant son interlocuteur. Pour une fois, il n’avait pas changé d’apparence. Il conservait cette allure pleine d’élégance et de rigueur qu’Antoine avait remarquée chez Mme de Nogaret.
    — Vous vous demandez sans doute pourquoi je loge chez M. de Neuville, débuta Virlojeux tout en conduisant Antoine dans le petit salon. Je vous en prie, asseyez-vous… Sachez donc, mon ami, que le comte est acquis à notre cause, je veux dire à celle de la Révolution. Il peut être fort utile pour le but que je me suis fixé. Je vous avais parlé de mon journal, n’est-ce pas…
    L’avocat s’exprimait sans gêne et Antoine en fut surpris. Il parlait d’utilité à propos de Neuville, et non pas de complicité, d’affection ou d’amitié…
    — Votre journal. Justement, je voulais vous en parler.
    Virlojeux fit le candide.
    — Mon journal ?
    — Eh bien, si vous avez encore besoin de moi…
    — Mais certainement, mon cher, nous avons besoin de toutes les bonnes volontés. Il nous faut être vigilants pour déjouer les complots de l’aristocratie. Rien ne peut davantage la combattre que l’opinion publique… Encore faut-il l’éclairer, lui apprendre à flairer les pièges.
    — Un complot. Vous voulez dire que…
    — Ne soyez pas naïf, voyons, vous imaginez bien que les cabaleurs de la Cour n’ont pas désarmé comme par miracle après la prise de la Bastille.
    — À propos, savez-vous que j’ai eu l’honneur d’y participer ?
    Virlojeux ouvrit de grands yeux admiratifs.
    — Vous… vous vous êtes battu avec le peuple ?
    — Eh ! Je suis du peuple comme vous, Monsieur. Il m’a semblé que c’était là une chose naturelle. Je suis même surpris, en y pensant, par la facilité avec laquelle je me suis jeté dans cette mêlée. Pensez donc, je n’avais jamais tenu de fusil avant ce jour. Pouvoir vibrer ainsi avec d’autres Français, avoir la chance de participer à la régénération nationale…
    — En effet, cette action glorieuse nous a permis de déjouer les trames du despotisme ministériel. Sans vous, sans le peuple de Paris, rien n’aurait subsisté de la Révolution, soyez-en convaincu.
    L’expression de Virlojeux se transforma progressivement et devint étrange, comme empreinte d’une délectation mauvaise.
    — Vous avez donc vu la tête du marquis de Launay…
    — Oui, je l’ai vue… C’était une chose horrible, et pourtant je…
    — Dites-moi donc…
    L’avocat s’exprimait avec une fébrilité qui ne lui était pas coutumière.
    — Eh bien… j’ai vraiment honte de le dire mais… c’était comme si, une fois la répugnance passée, une fois l’acte perpétré, cette mort me laissait indifférent.
    — Indifférent ? En êtes-vous sûr ? N’avez-vous pas plutôt éprouvé une sorte de satisfaction et, peut-être même de plaisir ?
    — Que voulez-vous dire ? Le terme me paraît excessif… Enfin, je ne sais plus. J’étais au milieu de cette foule, faisant corps avec elle. Mon prisonnier était déjà tombé, frappé par un coup de sabre, avant d’être piétiné, et puis les coups pleuvaient, le sang ruisselait… J’eus alors l’impression d’assister au sacrifice d’un animal, comme ceux que les Grecs et les Romains offraient à leurs dieux. Ce n’était plus des meurtres mais des gestes purificatoires. Et la répulsion est revenue ; je me dégoûtais moi-même. Je n’avais pourtant tué personne, mais je regardais mes mains comme celles d’un assassin.
    Virlojeux eut une lueur triomphale dans le regard.
    — Vous avez tort, votre premier mouvement a été le plus sain, le plus nécessaire. Je comprends votre répugnance ; elle vous honore ; elle signifie que vous n’êtes pas un barbare, que c’est uniquement par obligation qu’il vous a fallu châtier les traîtres.
    — Vous suggérez que…
    — C’est bien ce que vous dites vous-même ; ce ne sont pas des meurtres, mais des actes de justice. Ils nous purifient…
    Le silence dura un moment. Les deux hommes étaient totalement absorbés par leurs pensées. Virlojeux leva brusquement la tête.
    — Vous souhaitez sans doute revoir Mlle de Morlanges.
    — Je

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