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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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réprobateur. Quant à Virlojeux, il se contenta d’observer l’assistance d’un regard froid et arbitral.
    Montfort allait répondre, mais Amélie ne lui en laissa pas le temps.
    — Monsieur le chevalier, malgré mon âge et mon manque d’expérience, j’ai l’audace de ne pas partager votre avis. Un bel espoir s’est levé dans notre pays. Pour la première fois, des hommes de toutes les conditions et de toutes les provinces essaient de s’entendre pour donner une Constitution au royaume. Des crimes odieux ont été commis, je les déplore autant que vous, mais pourquoi condamner une tentative dès sa naissance et détruire une si belle espérance ?
    La voix cristalline de la jeune fille tremblait légèrement sous l’effet de l’indignation. Antoine en fut charmé. Amélie donnait l’impression de dialoguer avec lui à travers la dispute qui les opposait tous deux à Montfort, et ce lien indirect l’enivra.
    — Ma chère, répondit le chevalier, votre générosité, plus encore que votre candeur, vous empêche de mesurer les conséquences néfastes de cette liberté dont vous nous chantez les louanges. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est la destruction pure et simple du clergé et de la noblesse. Le pire, c’est que les membres de l’élite ont largement creusé la fosse dans laquelle d’autres iront bientôt les pousser. Souvenez-vous de quelle manière les comtes de Lameth et de Mirabeau, le marquis de La Fayette, monseigneur le duc d’Orléans lui-même, ont impudemment attaqué l’autorité du roi. Et je ne parle point ici de la noblesse de robe. Qui donc, à la Cour et dans les grandes familles de province, n’a pas écrit de brochure outrageuse sur la reine ? Ne croyez pas, mes amis, que je m’attaque aux élus du tiers état, non, les premiers responsables de cette triste aventure, ce sont nos semblables.
    Il y eut un silence. Plus que les autres encore, le comte de Neuville avait l’air consterné. Il tenta de détourner la conversation et fit tout pour recoudre les deux bords de la plaie.
    — Mon père, dit-il en s’adressant à l’abbé Renard. Monsieur de Virlojeux m’a confié que, l’hiver dernier, vous fîtes beaucoup pour les pauvres.
    — C’est bien aimable de sa part. J’ai seulement accompli mon devoir. En faire moins eût été déshonorer ma robe.
    Le prêtre s’interrompit et se tourna vers l’avocat.
    — À propos, reprit-il. J’y ai pensé une partie de la journée d’hier, sachant que j’allais vous rencontrer, mais je ne me souviens pas d’un quelconque Virlojeux, membre du barreau de Toulouse. J’ai pourtant une bonne mémoire… Quand avez-vous été inscrit ?
    — En 1778.
    — Mais alors, vous avez connu mon cousin. Il a été reçu la même année que vous, Bernard de Clairac.
    — Clairac, bien entendu, je le connais…
    — Je me suis souvent rendu au Parlement à cette époque et n’ai pas le souvenir de vous y avoir rencontré. Je ne comprends pas pourquoi il ne m’a jamais parlé d’un homme tel que vous. Vous êtes discret, bien sûr, mais…
    — En ce temps-là, malheureusement, je plaidais peu.
    — Avez-vous vu mon cousin par la suite, demanda l’abbé avec une émotion manifeste dans la voix ?
    — Certes, la dernière fois, c’était il me semble en 1780, l’année de mon départ pour Boston, oui, c’est cela, j’en suis sûr maintenant, je l’ai entendu plaider une affaire dont j’ai oublié le détail.
    — Monsieur, dit l’abbé avec surprise, c’est absolument impossible, mon cousin, Bernard de Clairac, est mort l’année même de sa réception au barreau, à l’âge de vingt-cinq ans.
    La stupeur fut générale et chacun fixa Virlojeux dans l’attente d’une explication.
    Il resta un moment sans rien dire. Sous ses épais sourcils en broussaille, son regard, loin d’être fuyant, fixait au contraire les convives plus intensément. C’était comme s’il les interrogeait lui-même. Il s’arrêta enfin sur Mme de Nogaret, engageant une sorte de duel avec elle. Il semblait l’inviter silencieusement à intervenir.
    — Encore une de vos cachotteries ? fit-elle d’une voix malicieuse.
    — Je dois garder le plus grand secret. Cette affaire-là, je vous l’assure, dépasse ma volonté ou le désir que j’aurais de vous être agréable.
    — Vous voilà bien mystérieux, mon cher, constata le comte de Neuville.
    — Je l’avoue, je suis contraint au secret.
    — Mais votre métier, le

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