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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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la terreur. Antoine quitta la Grève en compagnie de Pierre. Ils ne virent pas les deux invalides pendus aux lanternes, la tête du prévôt des marchands, qu’on promena jusqu’au Palais-Royal et à qui on fit baiser la statue d’Henri IV, ou encore les sept prisonniers portés en triomphe hors de la forteresse. Ils avaient eu suffisamment d’émotion et vu trop de sang. Ils marchaient dans le plus grand silence. Antoine éprouvait des sentiments mêlés. Avait-il commis un crime ou accompli son devoir ? Le visage du Suisse qu’il n’avait pu protéger le hantait. Mais il fut distrait par les regards interrogateurs de l’enfant.
    — Je dois prendre mon service, pitchoun , et toi, où vis-tu ?
    — Ici et là, ça dépend de Chartier…
    — Eh bien, va le trouver !
    Pierre baissa la tête sans rien dire. La voix d’Antoine se fit plus douce.
    — Écoute-moi, on se reverra, je te le promets. Où couches-tu donc ?
    — Le plus souvent, à la Halle, parce que, le matin, j’attends du travail ou une petite pièce pour manger. Et quand il n’y a pas d’emploi, je suis près de l’ancien pilori à regarder les comédiens.
    — Qu’as-tu fait de ton tambour ?
    — Le soldat me l’a repris.
    — Tu en trouveras un autre.
    Loisel lui lança le fond de sa bourse.
    — En attendant, prends ça ! Et maintenant disparais, faut que j’aille servir.
    Le gamin resta immobile.
    — Allez, va-t’en, je te dis !
    Il y eut un silence. Pierre hésita une dernière fois et se sauva.
    Antoine observa alors les flots noirs de la Seine pendant un moment, puis rejoignit son district et s’endormit en montant la garde.
     
    Le lendemain, il s’éveilla avec peine. Il venait de vivre tant d’événements extraordinaires qu’il eut l’impression de les avoir rêvés. Il se demanda quelle serait la réaction du roi. Sévirait-il contre ses sujets ou bien – en père bonasse du royaume – se contenterait-il de les réprimander ? Ses régiments pouvaient encore marcher sur Paris et y faire un carnage. Antoine sortit pour en avoir le cœur net. Sa vie entière, désormais, appartenait à la rue. La culpabilité avait disparu. Il était fier d’avoir participé à la folle journée.
    Alors qu’il approchait du Palais-Royal, une envie irrépressible le fit pourtant revenir sur ses pas. Il voulait voir Mme d’Anville. Il devait s’excuser sur-le-champ. Il en devint obsédé. La prise de la Bastille l’avait débarrassé d’une paralysie. Quel plaisir immense ! Se sentir, une fois encore, aimé par cette femme ; se faire dorloter, acoucoula comme on disait en Languedoc, avec toute la douceur que suggère ce mot.
    Il espérait la trouver chez elle, disposée à l’écouter et, peut-être, à lui pardonner. Il eut de la chance. Elle lui ouvrit la porte elle-même. Ni Manon, ni M. d’Anville n’étaient là. Elle l’accueillit avec un sourire chaleureux comme pour lui signifier que toute forme d’explication était superflue. Mais Antoine tenait à énoncer sa faute pour s’en libérer.
    — Je me suis comporté avec vous comme le dernier des goujats, lui confia-t-il. Puis-je espérer que vous me pardonnerez un jour ma conduite ?
    — Vous savez bien que je vous ai déjà pardonné, Antoine. Après tout, ce n’était qu’une foucade. Je vous aime trop pour vous tenir rigueur d’un élan si naturel à votre âge.
    — J’ignorais tant de choses… Mon père m’a appris que vous avez été frappée par un malheur terrible… À la lumière de cette explication, ma conduite me semble plus inqualifiable encore.
    Le visage de Mme d’Anville se ferma subitement.
    — Je préfère ne pas en parler, murmura-t-elle en détournant le regard… Donnez-moi plutôt de vos nouvelles. Tout ce qu’Étienne a pu me dire sur votre compte ne m’a pas satisfaite.
    Antoine s’exécuta. Il décrivit les moments difficiles passés loin d’elle, le souper donné par Gabrielle de Nogaret, la rencontre d’Amélie de Morlanges et, enfin, ses péripéties révolutionnaires. Elle l’écouta d’un air captivé, comme si elle dévorait un roman d’aventures et revivait elle-même chacun de ces événements.
    — Un mois seulement est passé et vous me paraissez désormais un autre homme.
    — Vous avez raison. J’ai même le sentiment que cette révolution-là s’est opérée en moins de trois jours et qu’elle suit de près celle de la Nation… Mais parlons de vous. En découvrant le salon de Mme de

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