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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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d’Orléans vous ferait-elle défaut ?
    — Son Altesse me donne déjà beaucoup, il me faut compléter ses libéralités pour mettre en œuvre les projets qui me sont – comment dire ? – plus personnels… Toutes ces entreprises ont d’ailleurs trait à notre cause. Je m’y suis moi-même ruiné.
    — En quoi consiste donc le reste de votre mission ?
    — Acceptez que je me taise maintenant, je vous en ai déjà trop dit.
    — Comment ! s’insurgea Montfort. Vous servez ce dépravé, ce franc-maçon, ce démagogue dont le Palais sert de refuge au vice et au crime !
    Le chevalier grimaçait de dégoût comme s’il venait de boire un gorgeon de vinaigre.
    — Je n’ai aucune part à ces affaires-là, rétorqua Virlojeux avec la passion de l’homme diffamé.
    Il se tourna vers Mme de Nogaret, le visage implorant, enfantin. Cette dernière le fixa à son tour comme pour déchiffrer ses volontés.
    — Notre ami m’avait tout confié depuis le début, avoua-t-elle presque aussitôt ; j’ai toujours connu la nature de sa fonction, mais j’avais juré de me taire.
    — Vous paraissiez pourtant si surprise tout à l’heure, fit la duchesse de Gonzague, interloquée.
    — Je vous l’ai dit, j’avais promis de garder le secret, mais puisque M. de Virlojeux vient lui-même de le révéler…
    L’expression de cette femme frivole prit soudain une tournure mystique ; elle ajouta d’une voix chevrotante.
    — Ne le condamnez pas, je vous en prie, son abnégation a quelque chose de divin ; il a menti, bien malgré lui, pour servir une cause supérieure. Si vous l’aviez vu visiter les pauvres et leur distribuer tout son bien ! Si vous l’aviez vu dissimuler ses larmes chaque fois qu’il découvrait l’expression de soulagement de ces misérables, si vous l’aviez vu désespéré de ne pouvoir leur offrir davantage, vous eussiez trouvé comme moi cet homme admirable. Il s’est inventé une fonction et une origine, certes. Mais il l’a fait sous la contrainte, afin de rendre sa mission plus discrète et, par là même, plus utile. Songez, mes amis, à la besogne sans gloire à laquelle ce bienfaiteur s’est volontairement astreint. Qui, à part des cénobites ou quelques laïcs touchés par la grâce, qui donc, dans ce monde d’apparences et de débauche, serait prêt à tout abandonner : insouciance de la jeunesse, douceur et sécurité du foyer, vanité d’une renommée pourtant mille fois méritée… Il ne vous le dira pas lui-même tant sa délicatesse souffre des soupçons que vous faites peser sur lui, mais il a toujours donné aux pauvres les deniers que le prince destinait à sa propre gloire. Quant à la liberté, il s’enorgueillit de la défendre. Mais jamais il n’a diffusé l’un de ces libelles injurieux pour le trône. Le temps que d’autres gaspillent en diatribes stériles, il le consacre à la promotion des idées, à la réforme. C’est en connaissance de cause qu’il vous appartient aujourd’hui de le trahir ou de lui renouveler votre confiance.
    La plupart des convives furent touchés par la brillante plaidoirie de Gabrielle ; il régnait un grand silence dans la pièce. Tandis que Virlojeux maintenait sa tête baissée avec humilité, les invités se jaugeaient tels des enfants coupables à qui l’on vient de révéler l’immensité de leur faute. Même le chevalier de Montfort se délesta un instant de sa superbe.
    — C’était donc cela, dit Neuville, d’un air plus ahuri que songeur, vos fréquentes allées et venues, vos rendez-vous mystérieux, vos propos énigmatiques… vous travaillez pour le duc d’Orléans… Mon ami, pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ? Je ne vous aurais pas trahi. Au nom de tous, je voudrais que vous nous pardonniez cette défiance. Après ce que vous avez accompli, elle a dû vous paraître si injuste !
    Virlojeux ne répondit pas. Il semblait accablé. Il se contenta d’adresser un demi-sourire au comte.
    L’histoire était si extraordinaire et si facile à vérifier, que tout le monde la crut. Seul l’abbé Renard nourrissait quelques doutes dont il comptait s’ouvrir à Antoine. Le jeune homme, trop occupé à guetter Amélie, n’avait pas l’esprit à l’intrigue. Virlojeux n’était ni avocat ni toulousain et il servait la faction d’Orléans : toutes ces révélations l’avaient surpris bien entendu ; mais, assez rapidement, grâce à cette faculté d’adaptation ou plutôt d’adhésion

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