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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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Andromaque ou de la Bible.
    La vieille femme, Denise Grouet, était une ancienne maquerelle aux mœurs vipérines. Chartier, dont le babillage était frotté d’érudition, l’avait baptisée Alecto, comme l’une des trois furies de la mythologie grecque. Cette harpie, qui se vantait d’avoir orchestré le dépucelage d’une centaine de vierges, avait de la religion et allait tous les dimanches frotter sa chemise à la châsse de Sainte-Geneviève. Il y avait aussi François Vassard, dit Grosse Pinte, l’ivrogne aux yeux cernés qui avait ceinturé Antoine ; c’était un vaurien que l’on retrouvait chaque soir dans une taverne, l’œil glauque, l’air hagard et le nez trempant comme une mouillette dans un verre de chasse-cousin. Parasite de profession, il s’était découvert une filiation criminelle avec la mère Grouet ; enfin, Jacques Perennec, dit la Mule, était une sorte de misanthrope déclassé qu’escortait son fidèle chien Ragot. Il avait l’air d’une asperge sucée, comme on disait alors dans le peuple pour désigner une personne grande, efflanquée au maintien roide et embarrassé.
    — Il manque encore Baptiste, Henriette et Jeanne, qui sont à la tâche, précisa le petit tambour.
    — Des voleurs ?
    — Non, un portefaix et deux fripières.
    — Ah ! fit Antoine en ricanant, on travaille donc aussi dans ta confrérie ?
    Blessé par ce sarcasme, l’enfant toisa le Toulousain avec mépris.
    — Tout le monde travaille ici… Y a que François et Denise qui friponnent… Eux, ce sont des avaleurs de pois gris, des écornifleurs de dîner ! Quant à Chartier, il nous commande, voilà toute sa besogne…
    — Et toi ? demanda Antoine avec moins d’ironie dans le ton.
    — Si c’était moi qui vous avais volé, vous m’auriez jamais repéré.
    — Oh petit ! Tu plastronnes avec tes brevets de filouterie !
    — J’vous jure que c’est vrai !
    Lorsqu’il était piqué au vif, Pierre reprenait le ton naïf d’un enfant de onze ans.
    — Bon, je te crois. Tu voles aussi bien qu’un fermier général…
    —  Primo d’abord , j’vole plus, j’travaille depuis que Jeanne s’occupe de moi. J’fais le terrassier dans les ateliers du roi et le ramoneur quand vient l’hiver.
    — Parfait, parfait, ne t’énerve donc pas. Tu vis honnêtement… c’est dit. Et maintenant, je dois y aller. Retrouvons-nous demain pour la séance de dessin.
    Pierre considéra le peintre avec un mélange de dureté et de déception.
    — Bon, fit-il sèchement. On se retrouve ici, au coin de la rue des Mauvaises-Paroles.
    — J’y serai, pitchoun.
     
    Antoine se rendit le lendemain à l’endroit indiqué. Les pauvres l’y attendaient en devisant. Il se dégageait du groupe une impression de détachement dont le Toulousain ne comprenait pas la cause. Il ignorait la sensation qu’éprouvent les gens de peine après une semaine de travail harassant. Il n’avait jamais eu le corps à ce point rompu, l’échine brisée, l’esprit errant à mi-chemin entre le délassement et l’hébétude.
    Il distingua trois nouvelles physionomies qu’il détailla en homme de l’art. Il y a souvent, dans la création, une forme de maquignonnage mâtiné de vampirisme. Il observa une jeune femme dont le visage exprimait un mélange de tristesse et de bonté. Quelques mèches d’un blond assez terne s’échappaient de son bonnet et retombaient sur son casaquin aux larges manches peluchées. C’était Jeanne, l’une des deux fripières dont le petit tambour lui avait parlé.
    La seconde avait la mine effrontée, les joues pleines, l’œil vif, espiègle, et un corps aux formes généreuses, vaillamment dressé comme un fanal ; elle toisa le visiteur sans concession ni méchanceté, avec cette fierté goguenarde si caractéristique du petit peuple de Paris. Avant même de l’entendre, le Toulousain devina qu’elle était forte en gueule. On les présenta. Elle s’appelait Henriette, mais on la nommait la Cabriole, parce qu’elle excellait dans toutes sortes de danse.
    À ses côtés, rêvassait le portefaix Baptiste, un fort de la Halle au regard d’ange. Il n’était pas très grand, mais râblé, agile et vigoureux, comme la plupart des gens du métier. Chaque jour, il ployait sous la charge, les crochets en main, le cou enfoncé dans les épaules, les jambes musculeuses, plantées comme deux tours dans les gadoues de Paris. Le contraste entre sa force physique et son affabilité

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