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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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Il sentit soudain deux brèves secousses. Pierre lui tirait la manche. L’enfant, qui venait de passer une semaine sans le voir, tenta maladroitement de contenir sa joie. Ils longèrent ensemble la rue Mouffetard jusqu’à l’enceinte des Gobelins, puis le tambour entraîna le peintre dans un méandre de ruelles bourbeuses. Ils atteignirent enfin un cul-de-sac et s’arrêtèrent devant l’entrée d’un taudis.
    — T’es vraiment sûr de vouloir monter, demanda Pierre d’une mine légèrement suppliante.
    — Allons-y, ne perdons pas de temps.
    Ils grimpèrent un escalier branlant jusqu’au dernier étage. Une odeur tenace de moisi et d’excréments imprégnait les lieux. Le Toulousain avait l’impression de pénétrer dans une léproserie. Pierre poussa une porte entrebâillée, dévoilant une pièce minuscule qu’il éclaira à l’aide d’un vieux bout de chandelle. Les ombres et les lueurs dansaient sur un embrouillement de frusques mal empilées, de pots de chambres et de bouteilles vides. Les murs, badigeonnés de chaux, suintaient pourtant l’humidité. Antoine ne voyait presque rien ; mais il respirait encore, car une petite lucarne, flanquée d’un rideau jaunâtre, faisait pénétrer le vent plutôt que la lumière. Trois poules et deux lapins s’égaillaient entre les chaises bancales, le vieux poêle et les grabats. C’est dans cet espace insalubre que s’entassait, chaque nuit, une demi-douzaine de personnes.
    — Je ne pourrai pas travailler ici… trop obscur.
    — J’ai essayé de te prévenir, se défendit le gamin de sa voix flûtée… Attends, j’vais arranger ça.
    Pierre fit un saut de cabri, écarta au passage une poule qui caqueta sa mauvaise humeur, puis enleva un vieux tissu qui obstruait une partie de la fenêtre.
    — Hum… ça n’a rien de formidable. Bon, je me débrouillerai, dit Antoine en sortant son carnet à dessins. Où sont les autres ?
    — Au cabaret.
    — Encore ! Va donc me les chercher, nous avons beaucoup de travail… Ah ! Pierre, attends ! Amène-les deux par deux. Commence donc par Jeanne ; avec toi, ça fera l’affaire.
    Le petit tambour s’exécuta gaiement. Moins de dix minutes plus tard, il rentrait avec la jeune femme. Antoine l’observa de pied en cap. Elle n’était pas vraiment belle, mais la douceur de son regard lui donnait un certain charme.
    — Assieds-toi, lui dit-il en la fixant.
    La fripière obéit. Pour une fois, elle paraissait sereine.
    — Pierre, ôte ta chemise et viens te placer près de Jeanne, comme un enfant près de sa mère.
    Le petit tambour s’arc-bouta. Son visage devint blême.
    — Tu as entendu ce que je t’ai dit ?
    — J’veux pas.
    — Comment ça ?
    — J’veux garder ma chemise.
    — Allez, ne discute pas. Je dois achever cette académie aujourd’hui même.
    Pierre ne remua pas un cil. Au lieu de chercher à comprendre une réaction aussi surprenante, le peintre s’obstina. Son visage se durcit, son expression devint agressive.
    — Je te le répète pour la dernière fois, fais ce que je te dis ou je m’en irai et vous ne recevrez plus un liard, tu m’entends ?
    Une telle bassesse ne lui ressemblait guère. Mais la présence de Jeanne l’influençait ; il redoutait un peu sottement de perdre la face devant elle. Il ne vit même pas qu’un dilemme tenaillait Pierre ni que Jeanne l’implorait du regard.
    Tout d’un coup, le petit tambour enleva sa chemise et vint se jeter contre la fripière, le visage tordu de rage.
    — Bien, tu vois, ce n’est pas si difficile, persifla Antoine.
    Le peintre observa le torse dénudé de l’enfant, son corps maigre, ses muscles noueux. L’atmosphère était étrange, il n’y avait plus d’échanges, mais une impression pesante de sujétion. Après quelques instants, il ordonna à Pierre de lui présenter son profil ; mais ce dernier refusa une nouvelle fois. Il remuait constamment et s’arrangeait pour être toujours de face. À bout de patience, Antoine l’immobilisa en l’agrippant brutalement par le bras. C’est alors seulement qu’il comprit l’attitude de l’enfant. Du bas des reins jusqu’aux épaules, son dos était couvert de cicatrices et tout indiquait qu’il avait été fouetté avec une extrême violence. Le Toulousain resta sans voix. La vue de ces plaies sur le corps décharné d’un gamin de onze ans lui glaça le sang.
    Pierre se leva, prit sa chemise et partit en claquant la porte. Dans la petite

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