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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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réchauffé !
    Un valet ouvrit la porte du salon. Amélie se tenait debout, près de sa tante, rayonnante, plus belle, plus séduisante encore que le jour de leur dernière rencontre. Il mit quelques instants à la reconnaître. Elle avait le teint légèrement halé d’une paysanne, mais ne semblait nullement incommodée par cette apparence si contraire aux goûts du temps. Elle était vêtue assez simplement, d’une robe d’indienne couleur chair, sans rubans ni autres fioritures ; une belle chevelure châtaine, épaisse, aux boucles blondies par le soleil, flottait librement sur ses épaules. Ses yeux noirs étincelaient et tout son visage paraissait sourire à Antoine.
    — Savez-vous monter à cheval ? lui demanda Gabrielle.
    Cette phrase le sortit désagréablement de sa rêverie.
    — Oui, Madame, depuis l’enfance, répondit le Toulousain. Mon père a toujours aimé les chevaux.
    Il évita de dire combien ce dernier en possédait, pour ne point faire son bourgeois crotté ou son croquant de Gascogne. Il avait du mal à quitter Amélie des yeux. Ce n’était même pas des regards qu’ils échangeaient, mais une succession d’effleurements timides.
    — Bien, je vous fais apporter des bottes qui appartenaient à mon mari… Je vous en prie, j’insiste, ajouta-t-elle comme pour devancer les scrupules d’Antoine. Je crois que vous êtes à peu près de la même taille que lui.
    Le peintre était tellement envoûté qu’il n’eût, de toute manière, rien contesté. Il se laissa guider. Il insista seulement pour mettre ses bottes lui-même, sans l’aide d’un domestique, puis se leva et trébucha, ce qui fit sourire Amélie.
    Ils allèrent en voiture jusqu’au Bois de Boulogne où les attendaient un valet d’écurie et trois chevaux. Celui d’Antoine avait une belle robe rubican. Il s’approcha de l’animal, lui caressa affectueusement l’encolure et le chanfrein.
    — Je vois que vous aimez les bêtes, constata Amélie.
    — Elles ont toujours eu la patience de me supporter et la bonté de briser ma solitude.
    La jeune fille fut touchée par cette confession inattendue. Elle n’était pas de ces sottes qui se laissent impressionner par les fanfaronnades des bélîtres. Elle nourrissait même une véritable répulsion pour la vanité.
    — Et vous Mademoiselle, les aimez-vous ?
    — J’y suis très attachée. Mais je n’ai eu le droit de monter qu’à l’âge de quatorze ans. Mon père, qui est officier de cavalerie, me l’avait toujours interdit, sous prétexte que ce n’est pas une occupation de filles. Seul mon frère aîné pouvait galoper et l’accompagner à la chasse. Je me contentais de jouer avec les enfants des paysans. Mais je ne le regrette pas. Ils m’ont donné le goût de la liberté.
    Si Amélie était sensible à la maladresse du Toulousain, elle appréciait cependant les gens d’esprit ; Antoine avait compris qu’il y aurait des limites à ses balourdises. Il était donc satisfait de ce premier échange qui semblait les avoir rapprochés.
    Ils commencèrent à trottiner. Une bruine rafraîchissait l’atmosphère, exhalant les essences capiteuses des sous-bois. Ils empruntèrent un chemin étroit ; Antoine se débrouilla pour fermer la marche, ce qui lui donna l’occasion d’observer Amélie, de voir son corps épouser les mouvements de l’animal, de dessiner des yeux sa silhouette, sa taille de guêpe, la façon qu’elle avait de s’incliner pour éviter les branches ou de tourner discrètement la tête pour s’assurer de sa présence. Ce n’était pas des œillades d’enjôleuse ; elles exprimaient au contraire un désir d’autant plus ensorcelant qu’il était discret. Quand le chemin s’élargit un peu, ils chevauchèrent côte à côte. Mais, Gabrielle s’arrangea bien vite pour remplacer sa nièce auprès d’Antoine. Elle l’interrogea sur la bonté de sa monture et lui posa d’autres questions inutiles afin de justifier ses manigances. Loisel répondit civilement, tout en guettant la moindre occasion de retrouver sa cavalière. Il savait que les regards impatients qu’il adressait à Gabrielle étaient impolis et qu’il serait imprudent de blesser l’orgueil d’une telle femme, mais il ne put s’en empêcher. Au bout d’un moment, il se débrouilla pour retourner près d’Amélie. Ils continuèrent à chevaucher ainsi pendant un quart d’heure, parlant peu, appréciant le paysage. Mais lorsque Antoine se retourna, il

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