Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
Vom Netzwerk:
hardes ?
    — Elle est très proche de toi.
    — Jeanne est la meilleure d’entre nous.
    — Tu ne veux pas m’en dire plus ?
    — Non…
    Pierre hésita un instant avant de poursuivre.
    — J’crois qu’tu lui plais beaucoup.
    — Moi ?…
    Le jeune homme était aussi gêné que l’enfant. Il échangèrent un rapide sourire.
    — Parle-moi donc de François. Celui-là, j’ai l’impression qu’il pourrait m’égorger si je lui tournais le dos.
    — C’est vrai, dit simplement le petit tambour en lançant un caillou dans la Seine.
    Loisel éclata d’un rire nerveux. La concision de la réponse lui parut effrayante.
    — Et Baptiste ? s’empressa-t-il d’ajouter.
    — Lui ? Il ne ferait pas de mal à une mouche. Tout le monde le prend pour un artichaut.
    — Un artichaut ?
    — Un niais, un as de pique, un stupide quoi !… mais en fait, il est pas bête du tout…
    — Sans doute… Il n’y a pas de haine ou d’envie dans son regard… Et Jacques ? Il me semble étrange. Il se comporte avec son chien comme si c’était une femme ou un enfant. Il l’embrasse, le caresse, lui donne même la meilleure part de son dîner. Un crève-la-faim qui n’a rien dans le ventre !
    — Il aime son chien autant qu’il déteste les hommes…
    — J’ai l’impression qu’il me méprise.
    — Parce qu’il te voit comme un homme. Quand il te verra comme un chien, il t’aimera peut-être.
    — Depuis quand est-il invalide ?
    — Depuis ses vingt ans. Il était menuisier au faubourg Saint-Antoine. Mais, un soir qu’il rentrait de l’atelier et passait près de l’opéra, il a été renversé par une voiture ; celle d’un aristocrate ou d’un bourgeois, on n’sait pas… Le cocher a continué de fouetter ses chevaux, comme s’il venait de rouler sur un débris, en tout cas, quelque chose de pas très important ; il faisait nuit, personne a vu s’il y avait des armes sur le carrosse. Enfin, moi j’ai rien vu parce que, en ce temps-là, j’étais pas encore né. C’est Jeanne qui m’a raconté. Il paraît que Jacques est resté pendant deux jours à l’Hôtel-Dieu, couché sur une planche, à côté d’un noyé qui puait ; ça l’a rendu un peu fou. Après ça, la Mule, y pouvait plus travailler, à cause de son bras mort et de sa patte folle, tu comprends… Son maître l’a aidé pendant longtemps, c’était un brave type, mais Jacques avait plus envie de vivre… Et puis, pour se marier, les filles voulaient pas d’un infirme… Moi j’l’aime bien Jacques…
    Ils restèrent un moment sans rien dire.
    — Tu ne me parles jamais de ton travail. À ton âge, tu fais le terrassier ; ça me paraît bien rude.
    — J’ai l’habitude.
    Antoine le regarda fixement tout en réfléchissant.
    — J’aimerais vous dessiner ailleurs qu’aux Halles. J’ai besoin d’un autre lieu pour compléter mon étude. Où couchez-vous ces temps-ci ?
    — Dans un galetas du faubourg Saint-Marcel. C’est pas un endroit pour les culottes de soie.
    — J’en fais mon affaire… Dis aux autres que je les retrouverai là-bas la semaine prochaine.
     
    Antoine se rendit au faubourg le jour venu. Il connaissait bien cette partie de la rive gauche. Il s’était souvent perdu dans l’enchevêtrement de bâtisses noirâtres, de rues sales, de venelles pleines de chômeurs, de tire-laine et de mendiants. Il avait souvent arpenté le quartier, depuis l’Université jusqu’aux Gobelins, de la Salpêtrière à la lisière de Gentilly, parcourant les enclos monastiques, longeant le filet de la Bièvre où s’échouaient les restes de tanneries et de boucheries. Certains n’osaient plus s’aventurer dans le faubourg ; ils n’y voyaient, à tort, qu’un vaste coupe-gorge. Le Toulousain n’avait aucune crainte de ce genre. Cette visite donnerait plus de vérité à son chef-d’œuvre. Le pinceau ne devait pas mentir ou alors, il ne resterait qu’à suivre l’exemple mercenaire d’un Desprez.
    Il avait rendez-vous à Sainte-Geneviève où se déroulait une procession civique. Des femmes, escortées par des soldats de la garde nationale, s’avançaient vers l’église au son du fifre et du tambour. Le cortège était composé de vierges vêtues de blanc, de bergeronnettes et de marchandes de la place Maubert. Chacune d’elles déposa pieusement un bouquet de fleurs sur le reliquaire. Antoine était heureux de communier avec cette foule dont il partageait la ferveur patriotique.

Weitere Kostenlose Bücher