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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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surprit le regard de Gabrielle. Celui-ci manifestait tant d’envie que le jeune homme en fut troublé.
    — Vous paraissez tourmenté, lui demanda Amélie qui n’avait pas vu l’expression de sa tante.
    Il lui répondit quelques phrases convenues pour la rassurer. La jeune fille ne fut pas convaincue et continua de l’interroger des yeux. Mais le peintre ne pouvait lui expliquer ce qu’il venait de ressentir.
    La promenade s’achevait. Antoine prit congé. Il accepta le nouveau rendez-vous que lui fixa Gabrielle d’un air pincé, puis rentra chez lui.
    Il eut dès lors une obsession, se débarrasser de son chaperon. L’entreprise n’était pas aisée. Il ne pouvait froisser Mme de Nogaret sans courir de risque ; sa relation avec Amélie en dépendait. Il avait par ailleurs bien peu de chance de pouvoir s’isoler avec une jeune fille dont la virginité était si jalousement gardée. Que n’eût-il donné pour qu’elle n’appartînt pas à cette noblesse corsetée de règles, pour qu’elle fût seulement une fille du peuple, comme Henriette ou Jeanne. Tout eût été tellement plus simple s’il avait aimé Jeanne. Mais il le sentait, il le savait déjà, il ne l’aimait pas.
    Une seule personne était en mesure de résoudre le problème qui le tenaillait. Un seul individu, dans tout Paris, aurait suffisamment d’influence pour venir à bout des réticences de Gabrielle et pourrait lui obtenir le privilège d’un tête-à-tête avec sa dulcinée. Et cette personne, c’était, bien évidemment, Gaspard de Virlojeux.
     
    Dès le lendemain matin, il courut à sa recherche, priant pour que l’homme lige du prince d’Orléans ne fût pas en train de cabaler à l’Assemblée ou chez son maître, dans les jardins du Palais-Royal. Par chance, le ci-devant avocat se trouvait dans son atelier où il préparait le prochain numéro du Fanal . Il n’était pas seul. Antoine fut surpris de voir près de lui, non pas l’imprimeur ni même ses ouvriers, mais un homme qu’il n’avait jamais rencontré et qui se montrait pourtant familier avec le maître des lieux. Ils étudiaient ensemble un exemplaire du journal. L’inconnu sentit la présence d’Antoine et fut le premier à lever les yeux. Son regard était sournois, son expression cauteleuse et roide. Sa tête, qui semblait plus grosse que son corps, lui donnait l’apparence d’un poisson chabot. Il n’avait pas trente ans et une assurance très peu conforme à son âge. On sentait un véritable négligé dans sa tenue. Ses cheveux, noués à l’arrière, ébouriffés sur les tempes, étaient luisants et gras. Il portait une chemise de batiste et un vieux manteau au col relevé, moucheté de tâches.
    — Je vous présente M. Chauvet, mon nouveau secrétaire, dit Virlojeux.
    Antoine esquissa un sourire de circonstance. Le secrétaire lui répondit en accentuant sa grimace, plissant ses lèvres qui s’affaissaient déjà en arc de cercle autour du menton. C’était un rictus indéfinissable, ni sourire, ni colère, ni accueil, ni rejet, une sorte de froide condescendance.
    — Monsieur Antoine Loisel, ajouta l’ancien « avocat » pour clore les présentations.
    — Patriote ? nasilla simplement le drôle, comme si le Toulousain le dérangeait au beau milieu d’un complot.
    — Et un des plus sûrs, mon cher, précisa Gaspard.
    L’homme se contenta de hocher imperceptiblement la tête sans même modifier la mine suspicieuse avec laquelle il dévisageait Antoine.
    — Que puis-je pour vous, mon ami, voilà bien longtemps que vous n’êtes venu me rendre visite. Avez-vous oublié vos engagements envers moi ?
    Loisel ne savait que répondre. Il y aurait bien du ridicule à évoquer ses affaires de cœur dans un tel contexte et devant un inconnu aussi peu courtois. Ceux qui œuvraient pour la Révolution se moquaient bien de ses histoires sentimentales.
    — Justement, j’étais venu m’assurer que vous n’aviez pas besoin de moi, s’empressa-t-il de mentir.
    Virlojeux le scruta un instant comme s’il ne croyait pas un traître mot de ce qu’il disait.
    — Vous m’en voyez ravi. Permettez un instant, ajouta-t-il à l’attention du sieur Chauvet.
    Il prit amicalement le bras de Loisel et le guida vers la cour.
    — Nous serons plus tranquilles ici pour causer. Je ne voulais pas vous faire trop de reproches devant mon secrétaire, j’ai trop d’amitié pour vous. Il est vrai, toutefois, que votre présence m’a fait

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