De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
coup de force contre Paris. À la radio et à la télévision, dans une de ses célèbres interventions – « un quarteron… » – le Général ordonne d’employer tous les moyens pour barrer la route aux mutins en attendant de les réduire. Le gouvernement décide la fermeture des aéroports parisiens. Debré appelle la population à se rendre en masse aux aérodromes afin de dissuader les parachutistes de se saisir de l’État par la force.
Ma femme me téléphone pour me demander si elle doit rejoindre Orly :
— Tu veux donc que les parachutistes arrivent plus rapidement dans Paris en leur offrant ta voiture ?
Dans l’après-midi, nous recevons une visite insolite, celle du chef du cabinet du général commandant l’état-major particulier, qui nous déclare qu’en cas d’attaque du Palais il lui sera impossible de faire couler le sang de ses camarades !
Pour ne lui laisser aucune illusion sur notre détermination, je lui dis que jamais mon devoir n’a été aussi clair et aussi facile à accomplir : il repose sur la volonté du peuple affirmée par référendum. C’est alors que nous décidons d’interdire le bureau des aides de camp à tous les officiers de l’état-major particulier.
Dans l’attente des événements de la nuit, je demande à Teisseire de s’assurer de la fermeture de l’aéroport militaire de Villacoublay. On l’informe alors que le commandant en est absent, en mission d’inspection à Madagascar avec le général Stehlin, chef de l’état-major de l’Air.
Que les généraux putschistes aient été transportés secrètement en Algérie par l’armée de l’air, que le général Nicot, major général de l’armée de l’air, se soit compromis avec les putschistes, que le chef de ces derniers soit le général aviateur Challe, qu’aucun ordre n’ait été donné pour interdire la piste de Villacoublay, que le général Stehlin soit absent, tout cela me conduit, aujourd’hui, à voir dans le haut commandement de l’armée de l’air l’acteur principal de la rébellion. Si ce que je viens d’écrire me paraît irréel, tellement il m’est difficile de croire que l’État ait été à la merci de son armée, c’est pourtant mon sentiment.
Même si le putsch s’est rapidement effondré, Challe s’étant rendu aux forces loyales le 26 avril, cela n’empêchait pas que la position de la France en fût dégradée.
Le 31 mai suivant, les généraux Challe et Zeller sont condamnés à quinze années de détention criminelle. Entre-temps, les généraux Jouhaud et Salan ont pris le maquis. Ils animent la politique de terreur, d’assassinats et de terre brûlée qu’ils ont décidé de mettre en oeuvre dans le cadre de l’OAS, l’Organisation de l’armée secrète. Jouhaud, arrêté le 25 mars 1962, est condamné à mort par le tribunal militaire le 13 avril. La nouvelle en est connue durant l’entracte du spectacle donné à l’Opéra en l’honneur du président Yaméogo, président de Haute-Volta.
Le sentiment qui prévaut le lendemain parmi les aides de camp, c’est que Salan seul pourrait être l’artisan de la grâce de son compagnon, soit en se livrant, ce qui est hautement improbable, soit en quittant l’Algérie et en mettant fin à l’entreprise de l’OAS.
Du reste, la grâce de Jouhaud occupe le Tout-Paris la nuit durant, convaincu qu’il est de son exécution au petit jour, ce qui serait bien dans le tempérament meurtrier et vindicatif que l’on prête à de Gaulle. L’officier de permanence est assailli d’appels téléphoniques qui empêchent tout sommeil ; à partir de 9 heures, les aides de camp prennent son relais. Nous recevons aussi des appels de femmes à Mme de Gaulle : certaines assimilent le cas Jouhaud à ceux du duc d’Enghien et du maréchal Ney ! Le général Koenig, qui me téléphone de l’hôtel Majestic à Cannes, se déclare prêt à prendre l’avion si le Général veut bien le recevoir : imaginant l’objet de sa demande, je l’assure qu’avant toute décision d’exécution, le Conseil supérieur de la magistrature est automatiquement saisi de la grâce de Jouhaud : il y a donc procédure qui amènera la réunion de cette instance dans un délai qu’il ne m’est pas possible de préciser.
Le vendredi 20 avril, dans l’après-midi, Salan est arrêté à Alger ; or, je dois prendre la route tôt le lendemain pour Colombey, où le Général passe quelques jours de vacances pour
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