De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
minutes.
À la fin de l’entrevue, je reconduis les deux visiteurs à la porte de la résidence. Puis, comme je regagne ma chambre, le Général vient à ma rencontre :
— Que pensez-vous de tout cela ?
— Mon général, étant donné ce à quoi j’ai assisté aujourd’hui, vous avez été le catalyseur des sentiments du peuple canadien français. Il a soudainement pris conscience qu’il lui appartenait de régler ses rapports avec les anglophones, rapports qui lui sont défavorables depuis deux siècles. Vous ne pouviez dire aux Canadiens français que ce que vous leur avez dit. Ils l’attendaient de vous.
— Comment se fait-il alors que le Quai d’Orsay ne voie pas cela ?
— Oh ! le Quai d’Orsay va devoir demain se mouiller, chose qu’il n’aime pas trop !
Le lendemain 25, à son réveil, le Général, légèrement inquiet, me dit de vérifier que le programme de la journée tient toujours : visite de l’Exposition internationale et dîner officiel au pavillon français. En quittant le pavillon, le directeur de cabinet, Xavier de La Chevalerie, me glisse le communiqué du gouvernement fédéral d’Ottawa sur « les déclarations inacceptables » de la veille.
Rentré à la résidence, je donne le communiqué au Général qui me dit :
— S’ils ne comprennent pas ce que je veux faire pour eux, je n’ai aucune raison de me rendre à Ottawa.
Le propos m’est apparu très clair : il estimait le maintien de l’entité française au Québec nécessaire à la survie du Canada qui se trouvait confronté à un puissant voisin, les États-Unis, avec lequel il n’avait pas de frontières naturelles et partageait majoritairement la même langue.
Le voyage est écourté, et le président de la République de retour à Paris le 27, à 4 heures du matin. Le gouvernement, au complet, l’attend à Orly dans l’isba. Du jamais vu. J’ai soudain le sentiment que le Premier ministre et les ministres sont venus constater la déchéance intellectuelle du Général. Peut-être a-t-il la même impression car il leur fait une relation rapide de son voyage. Deux jours plus tard, un communiqué du Conseil des ministres mettra les choses au point, en ne laissant planer aucune ambiguïté quant à l’approbation par le gouvernement de l’action du président de la République.
Georges Pompidou et le général de Gaulle
À mon arrivée à l’Élysée le 8 janvier 1959, je ne connais pas Georges Pompidou. En fait j’ignore tout du milieu politique au pouvoir et des personnalités qui l’animent.
Début 1961, alors qu’il est fondé de pouvoir à la banque Rothschild, je croise Pompidou qui vient rendre compte au Général de sa mission secrète, visant à nouer les liens d’une négociation avec le GPRA.
Sortant du bureau du président, il me dit, désinvolte :
— Bah ! Je serai Premier ministre dans trois mois.
Est-ce pour que je répande son propos dans tout Paris, ce que je me suis bien gardé de faire ? Toutefois je n’ai pas du tout le sentiment que le Général lui ait fait, ce jour-là, des propositions précises. D’ailleurs, lorsque Pompidou revient vers le 10 août 1961 à l’Élysée, il me confie :
— Le poste de ministre des Finances m’a été offert. Je l’ai refusé pour des raisons de convenances personnelles. Je me défends, seulement, de penser à la fonction de Premier ministre.
Premier ministre, il ne le sera que le 14 avril 1962.
Il m’apparaît rapidement qu’avec ses goûts et ses aptitudes aux arrangements Pompidou convient au Général auquel il s’est adapté de longue main. Le Général se décharge ainsi des tâches fastidieuses – rapports avec les parlementaires, conversations et négociations avec les catégories socioprofessionnelles, conduite de l’administration –, ce qui lui permet de se concentrer sur la Défense et la diplomatie.
Apparemment, le couple Élysée-Matignon fonctionne bien et Georges Pompidou semble accepter la tutelle du chef de l’État. Pourtant, dès septembre 1962, le Premier ministre va s’opposer au Général.
De Gaulle, en effet, a décidé de modifier, par référendum, la Constitution : d’une part, le président de la République sera élu au suffrage universel ; d’autre part, le Premier ministre assumera l’intérim en cas de disparition, de démission ou d’incapacité du président. Georges Pompidou s’oppose à cette seconde disposition. Il va jusqu’à « mettre le
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