De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
j’entre à mon tour pour recevoir les ordres. Je joins François Seydoux, notre ambassadeur à Bonn.
Il doit informer le gouvernement allemand de la présence du président de la République française sur son sol et venir en consultation à Baden. À cet effet, un hélicoptère doit lui être envoyé.
De Gaulle me fait alors asseoir, procédure inhabituelle et rarissime à l’égard de ses aides de camp en uniforme, indiquant par là qu’il s’agit d’une consultation de François Flohic.
— Que va-t-il se passer maintenant ?
Sentant l’esprit du Général encore en balance, je m’avance franchement :
— Dès l’instant que vous êtes dans une enceinte militaire bien pourvue en moyens de communication puissants que ne peuvent contrôler les grévistes, les choses mes paraissent plus aisées.
— C’est vrai ! Mais maintenant que je ne suis plus sur le territoire français, le Conseil constitutionnel va constater ma déchéance.
Je fais remarquer, sans en être bien convaincu, qu’il est encore en territoire français puisque le pavillon national flotte au mât de la pelouse de Massu. Je raisonne évidemment par analogie avec les bâtiments de la Marine, lesquels où qu’ils se trouvent font partie du territoire.
Je lui rappelle que le président du Conseil constitutionnel Palewski lui est foncièrement fidèle, qu’il ne saurait prendre cette initiative sans sa déclaration. Et que si la pression devenait trop forte pour qu’il élude plus longtemps la question, on peut encore compter sur lui pour gagner le maximum de temps.
— Mais que peut-on faire ?
— Agir.
— Par exemple ?
— La France dans son ensemble est pour son président. Il faut la remettre au travail en reprenant les usines une par une. De toutes les façons, pour moi, le général de Gaulle ne peut descendre de la scène de l’Histoire sans combattre jusqu’au bout !
— Je pourrais aller à Strasbourg, mais quel serait l’accueil ?
— Je peux me renseigner, j’y ai des amis sûrs.
À ce moment, il est 15 h 30. Le plateau de déjeuner que j’ai commandé interrompt notre échange de vues.
Je me retire dans la salle à manger où Mme Massu a fait servir la collation froide que je partage avec Mme de Gaulle.
Suzanne Massu alimente la conversation. Elle soliloque plutôt, Mme de Gaulle restant muette sur la plupart des sujets abordés, qui tous portent sur la situation.
À un moment donné, Mme Massu conclut son exposé par ces paroles terribles :
— Vous savez, madame, ce n’est pas à soixante-dix-huit ans que l’on refait le 18 Juin.
Mme de Gaulle ne répond pas. Quant à moi, je lance un regard torve à notre interlocutrice.
Durant cette courte restauration, le général de Gaulle aurait, selon Massu, reçu le général Lalande, puis le général Mathon, chef d’état-major des FFA. Je ne puis l’affirmer, étant de dos à la porte du bureau.
À 16 heures, lorsque je pénètre à nouveau dans le bureau, je trouve un homme complètement transformé. Il est évident qu’il a pris ses résolutions. De fait, il me demande si l’hélicoptère est toujours disponible et l’heure à laquelle il pourra s’envoler pour Colombey. J’apporte cette bonne nouvelle à Mme de Gaulle qui, aussi imperturbable que jamais, s’apprête à gagner sa demeure. Simultanément, je rencontre mon camarade Philippe de Gaulle qui me dit être descendu chez les Massu avec sa famille.
Les hélicoptères ne sont pas disponibles immédiatement, les pleins de carburant n’ayant pu être effectués aussitôt au terrain de Baden-Oos [13] .
Finalement, de Gaulle s’envole à 16 h 30 après que son fils lui a demandé sur le pas de la porte de l’accompagner.
— Tu vois, je n’ai pas de place pour toi. Je t’appellerai si j’ai besoin de toi.
Je relève que Massu ignore la destination du président de la République. Georges Pompidou écrit, dans ses mémoires posthumes : « Après leur départ, j’apprenais de Messmer que l’hélicoptère du général de Gaulle venait de quitter Baden pour Metz. En fait, le Général avait quitté Baden pour Colombey, directement. »
Durant le trajet, je suis rasséréné. De Gaulle va agir. J’en attribue le crédit à ce que lui a dit Massu et peut-être aussi à ce que je considère comme ma « sortie ».
À 18 heures, l’hélicoptère se pose sur l’aire aménagée au bord de la route située à un kilomètre environ de
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