De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
Paris. »
À Matignon, la disparition du Général a plongé le Premier ministre dans le désarroi, comme l’attesteront des parlementaires de la majorité venus l’exhorter à l’action. Sans le Général, il se sait incapable de maîtriser la situation. A posteriori, il est ulcéré de n’avoir pas été mis au courant du départ du président de la République à Baden-Baden, et d’avoir été, en quelque sorte, abandonné.
Sa décision est prise : il a le devoir d’aviser la nation. D’où ses instructions à son chef de cabinet de préparer avec Georges Gorse, ministre de l’Information, les moyens de l’allocution télévisée qu’il compte prononcer.
À l’époque, la quasi-totalité des agents de l’ORTF sont en grève. Seuls vingt-cinq volontaires assurent le service minimum imposé par la loi. Les difficultés matérielles et psychologiques de l’émission sont grandes. Celle-ci, toutefois, ne se révélera pas nécessaire et même inopportune, car vers 17 heures, Matignon apprendra enfin que de Gaulle est passé à Baden-Baden et qu’il est reparti pour la France. Le général Massu, appelé par le général Fouquet [4] , a laissé entendre que le président de la République était venu chez lui.
1 -
Pour rétablir une vérité , Flammarion, 1982.
2 -
France-Empire, 1984.
3 -
Op. cit.
4 -
Chef d’état-major des armées.
Le dénouement
Le lendemain, jeudi 30 mai, aux environs de 10 h 30, le Général gagne son bureau de la tour et se met aussitôt à la rédaction de l’allocution qu’il entend prononcer dès son retour à Paris.
Il m’apparaît reposé. Une fois de plus, l’air de Colombey lui a été bénéfique. Il lui a redonné sa force, tel Antée au contact de la terre.
Le départ se fait à 11 heures, comme il a été prévu la veille, ce qui nous permet de gagner l’Élysée peu après 12 h 30.
Le Général dicte aussitôt son texte à sa secrétaire particulière, Mlle Hurard. Je relève qu’il maintient le référendum annoncé le 24.
À 15 heures, le Conseil des ministres n’est pas encore rassemblé, le Premier ministre et le président de la République tardant à paraître.
Le Conseil est vite expédié. D’après ce que j’en ai su des ministres, de Gaulle a lu la déclaration qu’il va faire à la radio dans l’instant qui suit, à 16 h 30.
En l’écoutant, nous constatons que contrairement à ce qu’il a fait dactylographier le matin, il ne parle plus du référendum. Il annonce la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue de nouvelles élections législatives dans les délais prévus par la Constitution.
Dans son adresse au peuple de France, il annonce qu’étant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, il remanie le gouvernement et appelle les Français à l’action civique.
Dans sa brève allocution prononcée d’un ton résolu, les auditeurs retrouvent le de Gaulle des tempêtes. L’effet est foudroyant sur tous les collaborateurs de l’Élysée, mais aussi sur les Parisiens qui quittent leur bureau et leur domicile pour se rendre à la manifestation prévue sur les Champs-Élysées. Du bureau des aides de camp, je les vois se hâter en file ininterrompue par l’avenue de Marigny. Cette manifestation a été organisée par les comités de défense de la République et l’Association nationale d’action pour la fidélité au général de Gaulle sans trop croire à son succès. Quelques jours auparavant, Jacques Foccart avait informé le Général que des personnalités envisageaient une manifestation en sa faveur.
— Eh bien, dit de Gaulle, il faut les encourager.
N’y tenant plus, j’abandonne mes collègues de service, je me mets en civil et rejoins la déferlante marée humaine remontant les Champs-Élysées, de la Concorde à l’Étoile. De Gaulle n’est manifestement plus seul comme le proclamaient jusqu’alors des slogans hostiles.
C’est une véritable libération à laquelle je participe. Elle marque la fin de l’anarchie et prélude au retour à la normale.
Lors du bref Conseil des ministres du 31 mai, la date des législatives est immédiatement fixée. C’est à Georges Pompidou que revient le mérite de préconiser la dissolution de l’Assemblée nationale, mesure qui permettra le dénouement de la crise.
À l’issue du second tour, le 30 juin, la majorité UDR emporte deux cent quatre-vingt-treize des sièges, s’assurant la majorité absolue.
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