De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
téléphoner.
Dans son ouvrage posthume [1] , Georges Pompidou rapporte qu’il a trouvé le Général très découragé, parlant de son retrait comme de la seule éventualité possible, ajoutant que lui, Pompidou, représente l’avenir. De Gaulle termine l’entretien téléphonique sur un insolite « Je vous embrasse » qui laisse le Premier ministre perplexe et inquiet, le Général n’étant pas coutumier d’effusions verbales.
Vers 13 h 30, Xavier de La Chevalerie fait part à Bernard Tricot de son inquiétude. Il n’a pas reçu l’avis d’arrivée du Général à Colombey. Comme aucun accident aérien n’a été annoncé par les deux hélicoptères d’accompagnement, la conclusion s’impose : il se passe quelque chose d’anormal, mais quoi ?
Le secrétaire général se perd en conjectures. Les deux aides de camp de service, d’Escrienne et Tallon, ne peuvent lui fournir aucune information, et pour cause ! Ils ont le sentiment que Bernard Tricot les suspecte de refuser de lui en donner.
Au même moment, Georges Pompidou, s’éloignant un instant de ses pesantes responsabilités, fête, par un déjeuner intime à Matignon, les fiançailles de son fils, Alain. Il n’est pas au courant de la disparition du Général. Il ne le sera que vers 14 heures.
À 14 h 30, il fait convoquer les principaux parlementaires de la majorité pour tenter de dégager avec eux une ligne de conduite.
Le député Guy Sabatier, qui fut membre de cette délégation, raconte dans son ouvrage Bourgeois, es-tu mort [2] ? ,ce que fut cette réunion :
« Nous sommes assis autour d’une table sous la présidence d’un Georges Pompidou méconnaissable : les traits tirés, l’oeil triste, la voix basse, s’épongeant le front, se levant nerveusement pour ouvrir la fenêtre. L’homme est exténué. Comment ne pas le comprendre à la suite de ces semaines de combat contre l’irréel et l’irraisonné.
« Il nous raconte son entretien du matin même au téléphone avec le général de Gaulle lui annonçant son départ pour vingt-quatre heures, ses derniers mots, “Je vous embrasse”. Il fait un résumé rapide et tragique de la situation. Il paraît désespéré. Comme par automatisme, il fait un tour de table. L’un des premiers, je lui dis ma conviction : “Il faut arrêter la dégradation. Le gouvernement a perdu son autorité parce qu’il n’agit pas. Nous n’allons tout de même pas laisser faire l’insurrection sans réagir. Nous avons le devoir de défendre les institutions de la République. Il faut un coup d’arrêt, faire intervenir la gendarmerie et donner l’ordre de tirer, si nécessaire.” Georges Pompidou, me regardant dans les yeux, me dit d’une voix qui avait repris un peu d’autorité : “Jamais je ne ferai tirer, vous m’entendez, jamais, même si ce soir les émeutiers envahissent les bâtiments publics.”
« Devant pareille détermination, ou plutôt absence de détermination, je n’ajoutais rien. Il n’y avait rien à ajouter. J’étais consterné car c’était la preuve qu’à tout instant, le soir même, peut-être dans les heures qui allaient suivre, la France pouvait aller à la dérive et à la catastrophe.
« Chacun fit part de son opinion, de ses propositions, certaines intéressantes, d’autres incroyables. Une heure se passa sans que se dessine la moindre décision. La réunion prit fin, et au moment de passer la porte, Roger Frey me prit par le bras et me confia : “Dis-toi que nous ne sommes pas nombreux à vouloir nous battre.”
« J’étais bouleversé.
« Revenus à l’Assemblée nationale, nous ne savions que dire à nos collègues qui nous attendaient avec anxiété. Nous nous sommes perdus en propos vagues qui n’arrivaient pas à être rassurants, qui ne pouvaient pas l’être. Quelle perplexité ! Quelle absence de moyens d’action ! Quelle douloureuse inquiétude ! Que faire ? Je remuais mentalement des tas d’idées, des hypothèses, des projets, durant la soirée, la nuit. J’en parlais à des amis sûrs.
« Georges Pompidou a écrit dans son livre posthume intitulé Pour rétablir une vérité [3] que le général de Gaulle avait eu “une crise de découragement”. C’est une hypothèse. Moi je dis : “la vérité” est que Georges Pompidou a eu une crise d’effondrement. C’est une certitude. Je ne sais pas ce qui s’est passé à Baden-Baden, mais je sais ce qui s’est passé à
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