De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
Pompidou peut être satisfait : la campagne électorale s’est faite en grande partie sur son nom. Le Général qualifie cette Chambre introuvable de « chambre de la trouille » ; réactionnaire, elle ne correspond pas du tout à la politique de « participation » qu’il veut promouvoir.
Le lundi 1 er juillet, Pompidou est venu rendre compte du scrutin. Il me revient de Matignon qu’il va cesser enfin d’être Premier ministre et pouvoir prendre des vacances. Qu’il ait été ulcéré, à son retour d’Afghanistan le 11 mai, par le comportement du président de la République à son endroit est évident, creusant ainsi le fossé ouvert entre eux. Que, dans cette fameuse journée du 29 mai, il ait été désorienté et qu’en l’absence du président de la République il ait pris ses dispositions pour s’adresser à la nation, n’a rien que de très normal. Personne ne peut lui en faire grief, de Gaulle moins que quiconque.
Le Général non plus n’est pas satisfait de son Premier ministre qui lui a forcé la main, rouvert la Sorbonne et relancé la révolte par sa décision de retirer une partie des forces du Quartier latin. Certes, en Conseil des ministres, de Gaulle lui a tressé des couronnes de fleurs. N’était-ce pas pour sauver les apparences ?
Quoi qu’il en soit, au lendemain des législatives, Georges Pompidou propose sa démission qui est acceptée par le Général. Pourtant, quelques minutes avant la nomination le 10 juillet de son successeur, Maurice Couve de Murville, il va revenir sur sa décision et se déclarer prêt à poursuivre sa mission. C’était trop tard.
Qu’il ait dans un premier temps décidé de se retirer, au faîte de sa popularité qu’il entendait immédiatement exploiter, est évident. Mais la succession n’était pas ouverte. Qu’il ait, dès lors, après mûres réflexions, voulu rester, est la marque de sa volonté de se placer favorablement pour le prochain scrutin présidentiel à l’échéance de décembre 1972. Les rapports d’amitié entre de Gaulle et Georges Pompidou ont été soumis à rude épreuve. Le Général s’est rendu compte que son Premier ministre avait joué un jeu personnel, rompant le contrat tacite entre eux.
Après que le gouvernement Couve de Murville a posé pour la traditionnelle photographie, le Général me demande mon sentiment sur le nouveau Premier ministre, une démarche tout à fait inhabituelle de sa part.
— M. Couve de Murville, dis-je, a toutes les qualités d’intelligence et de discipline pour conduire la politique de « participation » que vous voulez. Cependant un peu d’allant ne lui messiérait point.
J’estime que ce grand protestant froid, sceptique, à l’ironie glacée, n’est pas l’homme qui convient à la France après la période de troubles qu’elle vient de traverser.
Le Général se lance alors dans un exposé formel :
— En réalité on ne peut conserver éternellement le même Premier ministre, un peu plus de six années est déjà fort long ! Et puis, dans cette affaire on a laissé les choses se déliter, de plus Pompidou a rouvert la Sorbonne. À mon retour de Roumanie j’ai voulu agir, mais en fait Pompidou, Fouchet, Peyrefitte ne le voulaient pas car ils avaient peur qu’il y ait mort d’étudiants, on ne peut gouverner avec de tels soucis. Quant aux ouvriers, sentant que le gouvernement reculait, ils se sont mis de la partie, coiffés ensuite par la CGT et le parti communiste. Tout s’abandonnait, la population ne réagissait pas. Alors j’ai pensé quitter le pouvoir, mais ayant senti un mouvement dans l’opinion je me suis repris et j’ai décidé de rester.
— Je ne pense pas qu’en octobre il puisse se passer quelque chose de grave. Les ouvriers ne marcheront pas, d’ailleurs la gauche est en lambeaux et ce ne sera pas la même chose.
Je me permets alors de rappeler mes réserves voilées concernant l’appréciation élogieuse par Mme de Gaulle de l’action de Georges Pompidou.
— Oui, répond le Général, c’est un fait : aux yeux de l’opinion, il a pris une dimension nouvelle mais c’est dans la négociation, auparavant, qu’il n’a guère agi. C’est encore un professeur qui ignore que l’autorité de l’État doit s’appuyer sur les moyens de la force publique, le cas échéant sur la force armée. Je ne doute pas que la crise lui aura servi de leçon.
Lorsqu’il quitte Matignon, Georges Pompidou est, selon les
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