De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
échos qui me parviennent, furieux de s’en aller. Sous ses airs débonnaires, derrière ses sourcils touffus, il est autoritaire – une nécessité pour un Premier ministre. Mais il considère toute opposition à son action comme une opposition à sa personne. Bref, il est jaloux de son autorité et même vindicatif dans certaines circonstances.
Il le montrera dans la sordide « affaire Markovic » où le nom de Mme Pompidou est cité de façon indirecte au cours de l’instruction. Il tiendra rigueur au Général de ne l’avoir pas prévenu, et plus encore à Couve de Murville de ne pas avoir arrêté la procédure. Devenu président de la République, il n’oubliera aucun de ceux qu’il soupçonne de lui avoir manqué dans cette « affaire » :
— Ces gens-là ne seront rien, assurera-t-il.
À son départ de Matignon, il se projette donc dans la perspective du prochain scrutin présidentiel et, quand il se rend à Rome, il affirme à son directeur de cabinet, Michel Jobert, qu’il ne restera pas inerte. D’où son aveu au correspondant de l’AFP, Mengin, un opposant au Général dès l’époque de Londres en 1940 :
— Ce n’est, je crois, un mystère pour personne que je serai candidat.
À son retour à Paris, il estime que sa déclaration de Rome « n’a rien que de très normal ».
Le Général, qui ne se trompe pas sur sa portée, publie un communiqué dans lequel il affirme : « Élu président de la République le 19 décembre 1965 pour sept ans, j’ai le devoir et l’intention de remplir ce mandat jusqu’à son terme. »
La rupture entre les deux hommes est consommée, d’autant qu’à Genève Pompidou enfonce le clou, déclarant à la télévision suisse, le 13 février 1969 :
— J’aurai peut-être, si Dieu le veut, un destin national.
En plus desopposants traditionnels à de Gaulle, l’acte de candidature de Pompidou ne peut que conforter le camp de ceux qui, dans la majorité présidentielle, prônent le « non » au référendum du 27 avril 1969.
Le Général m’a confié un jour avoir choisi Georges Pompidou pour ses qualités d’arrangeur habile au compromis. Je dois dire qu’il s’est raidi dès l’automne 1972. Est-ce parce qu’il se savait atteint d’un cancer ? Quoi qu’il en soit, comme président de la République, il acceptera, sur les instances de Giscard d’Estaing, d’associer le Royaume-Uni aux Six du Marché commun, ne comprenant que trop tard que les Britanniques n’y entraient que pour obtenir des exceptions qui leur soient profitables ; une situation qui perdure aujourd’hui.
Dans l’avion qui nous ramène d’Irlande le 19 juin 1969, soit quatre jours après l’élection de Georges Pompidou à la tête de l’État, je provoque, une dernière fois, le Général :
— Si j’étais Pompidou, je viendrais vous saluer à votre arrivée à Saint-Dizier.
— Il n’oserait pas !
Le signe le plus évident de la rupture définitive entre les deux hommes, c’est Mme de Gaulle qui le donne en faisant fermer la bière de son mari, le 10 novembre 1970, avant l’arrivée à La Boisserie de Georges Pompidou, président de la République.
Exil volontaire
Le référendum annoncé le 24 mai 1968 est fixé au 27 avril 1969. Les propositions du Général sont repoussées par 52,41 % des suffrages exprimés. Le Général, qui se trouve à Colombey, cesse aussitôt d’assumer ses fonctions et sa décision prendra effet le lendemain, lundi 28 à midi.
Lundi à 10 heures, je me rends à La Boisserie. Pour la première fois, je trouve le Général qui m’attend, désoeuvré, dans le petit jardin floral devant sa demeure.
Il me demande ce que je « pense de tout cela ». Je lui dis ma honte et mon chagrin. Je pense que le choc lui a été rude d’être désavoué par les Français après tout ce qu’il a fait pour eux et, essayant de lui apporter un peu de réconfort, je lui cite les paroles de Brutus s’adressant au fantôme de César dans son combat décisif, plaine de Philippes, contre Octave et Antoine.
— O Julius Cesar ! Thou art mighty yet ! Thy spirit walks abroad, and turns our swords in our own proper entrails.
Je traduis :
— Ô César ! Tu es toujours omnipotent ! Ton fantôme se promène alentour et nous oblige à tourner nos épées contre nos propres entrailles.
Avant de conclure :
— Vous êtes César, et vous êtes en vie.
Pour toute réponse, je n’obtiens qu’un
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