Délivrez-nous du mal
paroisse ?
— Non, Monseigneur, répondit Bénédict.
— Pietro Mandez, marchand malade miraculé à Cantimpré, venu se recueillir sur le tombeau d’Evermacher ? lut Moccha d’un ton incrédule.
— La providence a voulu que je fusse le témoin privilégié des larmes de sang de sainte Monique.
Moccha hocha la tête.
— Privilégié, en effet…
Il se saisit de la fiole.
Bénédict songea que ce cardinal était Promoteur de la Cause ; lors des procès de canonisation, il devait se dresser contre Rasmussen, rendu irrésistible avec sa Vie des saints.
— Le cas du village de Cantimpré m’intéresse énormément, dit Moccha après avoir relevé la tête. À l’abbaye de Pozzo, dès qu’un signalement miraculeux le concernant est enregistré, je suis le premier à être averti.
— Cantimpré est un endroit béni de Dieu.
Moccha leva les sourcils.
— En terre de chrétienté, il est beaucoup de lieux qui peuvent se prévaloir de la grâce particulière du Seigneur : des cathédrales, des monastères, des rivières bénies par des saintes, des montagnes où se sont vus bien des prodiges… Mais rien qui ressemble à Cantimpré. Ces enfants qui naissent en parfaite santé, ces guérisons spontanées…
Moccha secoua la tête.
— Pourtant, les fois où j’ai sollicité une position de l’Église, j’ai essuyé des refus. On est très frileux à Rome au sujet de Cantimpré. À ma dernière tentative, il m’a été formellement interdit de traiter de nouveau ce sujet… à moins de présenter un nouvel élément conclusif devant la Congrégation.
Il agita la fiole de sang :
— Vrai ou faux, cet échantillon tombe à point nommé !
Bénédict Gui fronça les sourcils. Moccha avait été débouté de son intérêt pour Cantimpré ? Par qui ? Rasmussen ? Marteen avait dit que, dernièrement, Rasmussen et Rainerio s’occupaient de Cantimpré…
— Le miracle que vous m’apportez aujourd’hui, continua Moccha, je l’attendais depuis des mois.
Bénédict se mit soudain, contre toute attente, à douter du regard qu’il portait sur Rainerio et Rasmussen…
— Une manifestation chrétienne ! poursuivit le prélat. Sainte Monique est une figure révérée. Son truchement va me permettre de relancer le dossier et, cette fois, de faire toute la lumière sur ce mystère.
Bénédict Gui n’écoutait plus le cardinal Moccha. Bien des fois, lors d’enquêtes difficiles, il sentait en venir l’issue, sans en avoir encore toutes les données. La souplesse de son esprit le prenait parfois de court. Les gens du peuple disaient que Bénédict Gui alliait alors la divination à la réflexion.
Moccha se redressa.
— Je vais envoyer mes experts à Spalatro. Ensuite, je reprendrai le dossier de Cantimpré au sein du Latran.
Il fit appeler son diacre et dit à Bénédict :
— Vous allez devoir répondre à toute une série de questions. Je dois pouvoir lever les doutes sur ce prodige qui vont m’être rétorqués par les membres de la Congrégation. Vous êtes ma meilleure chance sur Cantimpré. Si vous le souhaitez, vous êtes mon hôte à Rome. Merci, mon fils.
Il disparut.
Le diacre, la mine toujours impavide, un dossier de feuillets sous le bras, et une plume et de l’encre dans les mains, s’assit à l’écritoire et débuta son interrogatoire.
Les minutes qui suivirent, Bénédict entra dans les détails du prodige de Spalatro, le diacre ne lui épargnant aucun piège ; mais Gui avait l’intelligence si déliée qu’il répondait aux assauts sans efforts et avec beaucoup de cohérence.
Cependant, il lorgnait avec intérêt le dossier du diacre posé sur l’écritoire ; la somme de Moccha sur le village de Cantimpré.
Au bout d’une heure, Bénédict demanda s’il pouvait examiner ces documents ; le diacre haussa les épaules et l’autorisa, alors qu’il retranscrivait par écrit les conclusions de leur entrevue.
Bénédict Gui découvrit avec stupéfaction la liste des prodiges qui avaient eu lieu à Cantimpré depuis huit ans. Malgré ce qu’il savait déjà, il était loin de s’imaginer de telles merveilles. Il comprit que les moindres faits et gestes du village étaient rapportés par un espion du cardinal Moccha : ce dernier avait réussi à se gagner la bienveillance d’une certaine Ana, une vieille villageoise de Cantimpré, fille du doyen, qui avait accepté de trahir les secrets des siens en échange d’assurances sur son salut. Elle
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