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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Romain Sardou
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qu’abrite ce lieu formidable. Je vous félicite d’y avoir été invité, jeune homme.
    Rien dans la voix ou le comportement du vieil homme ne laissait penser au soupçon. Le père Aba se dit, une nouvelle fois, que la sécurité était si bien ressentie au monastère, que personne ne songeait à s’inquiéter d’un visage inconnu : s’il était ici, c’était qu’il en avait la permission.
    Aba observa autour d’eux, il ne voyait pas apparaître de soldat ni de garde : ses victimes, le novice, le clerc et le cavalier, n’avaient sans doute pas encore été retrouvées.
    — Maître, j’étais présent il y a quinze ans à votre conférence à Paris.
    Arthuis sourit.
    — J’aurais mieux fait de garder le silence ce jour-là. J’ai essuyé une telle levée de boucliers, de la part de mes confrères.
    — D’où votre repli ?
    Arthuis de Beaune leva le bras pour pointer la pièce où ils se trouvaient :
    — Observez. Ici tout le monde travaille ensemble ! Les grammairiens, les rhétoriciens, les dialecticiens, les théologiens, les arithméticiens, les géomètres, les astronomes, les chirurgiens, les traducteurs et les explorateurs d’alchimie. Aucune matière de l’esprit n’est cloisonnée, interdite aux profanes, cultivée dans le secret ou la conspiration, comme à Paris ou à Oxford. Chacun peut se porter sur le travail de son voisin et offrir ses compétences pour résoudre un cas.
    Le père Aba dut admettre que c’était une des étrangetés de l’endroit qu’il n’avait pas encore reconnue mais dont il mesurait la portée.
    — À l’abri entre ces murs, nous sommes libres d’étudier sans les entraves générées par la coutume populaire ou par la pusillanimité des hautes sphères de l’Église.
    — Mais pourtant…
    Aba n’osait pas achever sa pensée.
    — Oui ?
    — Ces pièces miraculeuses que j’ai aperçues sur ces établis…
    — Eh bien ?
    — Elles ne sont pas toutes authentiques ?
    Arthuis sourit.
    — En quoi des contrefaçons nous seraient-elles utiles ? Tout est vrai, mon jeune ami ! C’est souvent le résultat de longues années de recherches. Les reliques que vous trouverez au monastère sont véridiques ; les « faux », vous les trouverez plus volontiers dans les églises ou les reliquaires paroissiaux, où nous les avons échangés. La célèbre clavicule de saint Benoît que l’on vénère à Padoue est en réalité faite en ivoire de morse ; la véritable est ici, avec nous.
    Le père Aba était stupéfait. Les hosties, les reliques d’Adalbert, les dents de lait de l’Enfant-Jésus… ?
    Arthuis expliqua :
    — Nous sommes là pour comprendre la nature des miracles, fastes et néfastes ; non pour fabriquer des leurres ou des mystifications.
    Aba observa quelques établis qui les entouraient.
    — Sur quoi travaillez-vous, maître ?
    Et Arthuis de répondre, avec une simplicité confondante, comme d’aucun dirait « Je vaque aux champs » :
    — Oh, moi… je travaille à percer le mystère de la Dormition et à reproduire la multiplication des pains du lac de Tibériade.
    Até de Brayac occupait une vaste chambre dans le monastère, non loin de celle de son chancelier de père, qui venait d’arriver.
    La présence d’Artémidore de Broca avait posé comme une chape de plomb sur la forteresse ; les moines étaient inquiets, les soldats sur le qui-vive.
    Depuis quelque temps, Até était saisie de mauvais pressentiments.
    Après son retour d’Orient et la confiance que lui accorda instantanément Artémidore, elle avait maintes fois parcouru le Sud de la France et conduit l’enlèvement de dizaines et de dizaines d’enfants. De son père, elle avait hérité un cœur de fer et une conscience cauteleuse. Rien ne l’émouvait, rien ne l’effrayait. Il lui demandait de ravir des innocents, elle s’exécutait. Il lui demandait d’ôter des vies, elle tuait.
    Jusqu’à Perrot.
    Il y avait d’abord eu cette scène où il lui avait rouvert sa cicatrice et où elle avait lu dans ses yeux, une menace telle qu’elle n’en avait jamais affronté.
    Mais c’était surtout une nouvelle conviction à l’égard de cet enfant qui l’habitait et la préoccupait :
    « Perrot ne soigne pas que les plaies du corps…»
    Elle sentait qu’à son contact, elle changeait intérieurement.
    Cet enfant mystérieux était en train de la guérir de son aveuglement, de sa froideur de criminelle, de son « manque

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