Délivrez-nous du mal
épaules.
— Je peux encore retarder l’élection du pape. Si vous voyez juste et que ces enfants peuvent produire ce que vous prétendez, je veux bien vous accorder un peu de temps supplémentaire.
L’abbé Profuturus courba le front :
— Vous ne serez pas déçu, monseigneur…
La conviction de l’abbé ne semblait pas rassurer Artémidore :
— Les dangers encourus sont déjà pour moi un sujet de déception, Profuturus. Allez, retournez travailler !
L’abbé, troublé par l’agacement de son maître, et croyant à une prochaine disgrâce, prit congé.
Passé la porte du bureau du chancelier, il se retrouva devant une vaste salle vide, marbrée et inondée de lumière grâce à de grandes croisées vitrées.
Un petit bureau se dressait sur la droite de la porte.
Le secrétaire Fauvel de Bazan s’y trouvait.
— Le chancelier semble préoccupé par la sécurité de notre entreprise, déplora Profuturus. Ses craintes sont-elles fondées ?
Fauvel écarta ce problème du revers de la main :
— La sécurité, c’est mon affaire. Très peu de personnes gravitent encore autour de nos intérêts. Et elles ignorent tout de nos objectifs. Je les stopperai. Ne craignez rien, Profuturus.
L’abbé déroula le rôle de parchemin que lui avait adressé Artémidore.
Il y lut que, entre les mois d’août et d’octobre précédents, les reliques de verre de trois églises, à Bologne, à Bamberg et à Évora, avaient été secrètement dérobées par des hommes aux services du chancelier et que quelques gouttes de sang inaltéré de deux saints et d’une sainte des VII e et XI e siècles y avaient été prélevées. À cela s’ajoutait la profanation de deux tombeaux de saints, à Lucques et à Aire-sur-l’Adour, en décembre : sur l’un, on avait ôté un morceau de chair imputrescible, sur l’autre, on avait rogné un fragment d’os de l’humérus. Le rôle indiquait aussi que, trois semaines plus tôt, une hostie miraculeuse d’Agens transformée en tissu humain sanguinolent au cours d’une eucharistie en 1244, avait été volée et remplacée par un leurre par les équipes d’Artémidore de Broca. Enfin Profuturus lut que le navire Le Saint-Lin quitterait sous peu la Corne d’Or avec à son bord plus de quatre cents ouvrages arabes nouvellement traduits, dont un traité sur les noms véritables des démons.
— Satisfait ? demanda Fauvel de Bazan. Il y a là tout ce que vous nous aviez demandé.
L’abbé referma son rôle et sourit :
— Quand tout sera réuni, oui, je serai satisfait…
C HAPITRE 0 3
La lettre de détresse écrite par Augustodunensis et adressée à l’évêque de Cahors partit de Cantimpré le 21 janvier. Remise aux mains de Pasquier, elle atteignit Saint-Corcq le 25 janvier. De là, un messager embarqué sur le Tarn suivit le courant jusqu’à Cahors, et le 31 janvier avant complies, les révélations du vicaire sur le père Aba et sur son fils Perrot se trouvèrent sous les yeux de l’évêque. Ce dernier, embarrassé par le rapt de l’enfant et par la paternité d’un prêtre de son diocèse, choisit de renvoyer le problème aux dominicains, plus à même de juger ce genre d’affaire.
La lettre de Cantimpré était arrivée à Cahors vers six heures du soir, il en était neuf le lendemain matin lorsqu’elle reprit sa route en direction de Narbonne où résidait Jacopone Tagliaferro, supérieur des inquisiteurs du pays.
Cet homme ne devait cependant jamais recevoir le mot d’Auguste. Il fut intercepté par Jorge Aja, le nouvel archevêque de Narbonne. Il la lut, la brûla, puis rédigea un message chiffré qu’il dépêcha en direction de Rome, aux bons soins du chancelier Artémidore de Broca…
Dans le même temps, le père Aba avait quitté Narbonne depuis trois jours. Il avait revêtu des loques échangées avec des miséreux qui passaient l’hiver dans un hospice de la ville. Il se trouva avec un bliaud mal raccommodé, de vieilles chausses, un manteau mité, des gants de laine et un bonnet qui dissimulait sa tonsure et son appartenance au tiers ordre. Cet accoutrement, complété d’une grosse croix pectorale et d’un bâton en bois d’yeuse, avait pour objectif de lui donner toute l’apparence d’un pèlerin. Il conserva sa gibecière et sa sacoche où il rangeait les quelques éléments de son enquête. Sous son manteau, il dissimulait la liste des enfants copiée aux archives, ainsi que la carte où étaient indiquées
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