Dernier acte à Palmyre
n’étaient pas cause de ces difformités ?
Finalement, au centre de la ville, je tombai sur la maison d’un riche habitant de Palmyre, un ami du Habib que je cherchais. C’était une grande villa dont les murs extérieurs n’étaient percés d’aucune fenêtre. Je franchis une porte au linteau sculpté de façon extravagante, et me retrouvai dans une cour assez fraîche et plutôt sombre. Des colonnes corinthiennes entouraient un puits. Un esclave à la peau sombre, poli mais ferme, me fit attendre dans la cour avant d’aller plaider ma cause à l’intérieur.
J’avais mis une histoire au point : j’arrivais de Rome – je ne voyais pas l’intérêt de prétendre le contraire – et je faisais partie de la famille de Sophrona. Comme j’espérais avoir l’air suffisamment respectable, je me disais que le père de son petit ami voudrait vérifier si par hasard son fils prodigue ne serait pas tombé amoureux de quelqu’un d’acceptable.
Ce ne fut pas le cas. En dépit de tous mes efforts, on refusa de me recevoir. Ni le propriétaire de la maison ni son invité Habib n’apparurent en personne. Mais on n’essaya pas non plus de me faire croire qu’il n’habitait pas là. On m’informa que sa femme et lui avaient projeté de rentrer à Damas avec leur fils. Cela signifiait donc que Khaled était lui aussi dans cette maison où il n’était probablement pas libre de ses mouvements. Quant au sort de sa musicienne, il restait mystérieux. Quand je mentionnai son nom, l’esclave m’affirma avec une moue méprisante qu’elle ne résidait pas ici.
Sachant que je me trouvais à la bonne adresse, je fis tout mon possible pour garder mon calme. La plus grande partie du travail d’un détective privé consiste d’ailleurs à garder son calme. Si j’avais trop insisté, je n’aurais rien obtenu de plus. J’étais certain que le jeune Khaled finirait par apprendre ma visite et se poserait des questions. Son premier geste serait sans doute de tout mettre en œuvre pour contacter la dame de ses pensées.
J’attendis donc dans la rue. Exactement comme je l’espérais, moins d’une heure plus tard, un jeune homme se précipita à l’extérieur en regardant furtivement derrière lui. Après qu’il se fut assuré que personne ne cherchait à le suivre, il prit ses jambes à son cou.
Âgé d’une vingtaine d’années, il était petit et trapu, avec un visage carré et d’épais sourcils qui se rejoignaient presque. Il vivait depuis assez longtemps à Palmyre pour avoir adopté le pantalon parthe, mais sans broderies, et il portait par-dessus une simple djellaba syrienne rayée. D’apparence athlétique, il donnait l’impression d’avoir un bon caractère, mais ne paraissait pas très intelligent. Très franchement, ce n’était pas le genre de héros avec lequel j’aurais eu envie de lever le pied… Évidemment, je n’étais pas une jeune fille ayant longtemps rêvé qu’un admirateur étranger viendrait l’arracher au travail qu’elle avait la chance d’avoir.
Et d’après Thalia, Sophrona n’était pas particulièrement futée.
Le jeune homme continuait d’avancer rapidement vers l’ouest, précisément l’endroit où notre troupe s’était établie. À cause de toutes mes pérégrinations précédentes, je commençais à me sentir fatigué et je regrettais amèrement de ne pas avoir emprunté une mule. La brûlure du soleil n’affectait peut-être pas les jeunes gens amoureux, mais j’avais trente-deux ans et j’étais mûr pour une longue sieste à l’ombre d’un palmier dattier. Après avoir bu et m’être bien reposé, j’espérais distraire un peu Helena, si elle me caressait avec assez de conviction auparavant. Avec ces pensées en tête, prendre ce fils de famille en filature perdit soudain tout intérêt.
Plus on se rapprochait de ma tente et plus j’avais envie de laisser tomber. Se hâter à travers le Treizième District de Rome au mois d’août constitue déjà une épreuve, mais je sais du moins où se trouvent les marchands de vin et les latrines publiques. Ici, c’était une véritable torture. Et tout ça au nom de la musique – l’art que j’appréciais le moins.
Khaled regarda une fois de plus par-dessus son épaule sans me repérer. Il n’en accéléra pas moins le pas et, quittant la route principale, s’engagea dans une venelle qui serpentait entre de modestes habitations. Des poulets et une ou deux chèvres étiques s’y baladaient en
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