Dernier acte à Palmyre
finiras par deviner tout seul. Mais je pourrais tout de même te fournir quelques indices.
Ce n’est pas l’envie de lui soutirer quelques détails qui me manquait, mais ce poste de douane n’était vraiment pas l’endroit idéal. Je devais au contraire l’obliger à se taire pour sa propre sécurité, et pour conserver mes chances de mettre la main sur l’assassin.
— J’aimerais beaucoup poursuivre cette conversation avec toi, mais surtout pas ici !
Sans répondre, elle baissa les paupières, recouvertes d’une espèce de poudre d’or, et garda les yeux presque fermés. Ses cils paraissaient démesurés, grâce à des traits finement dessinés qui les prolongeaient. J’étais certain que quelques-unes des prostituées fort coûteuses qui prenaient soin des sénateurs romains lors des banquets auraient payé des fortunes pour obtenir ses secrets de maquillage. En même temps, je me demandais anxieusement combien de petites boîtes en marbre et de petites fioles de verre rose j’allais devoir lui offrir, pour lui faire dire ce qu’elle se targuait de savoir. Mais incapable de résister à l’attrait du mystère, j’avançai une suggestion :
— Je travaille sur l’hypothèse que l’assassin est un homme qui le haïssait pour des raisons se rapportant à une femme…
— Ha ! Ha ! Ha ! rit-elle bruyamment. Tu n’es pas sur la bonne voie, Falco ! Mais alors, pas du tout ! Tu peux me croire : le scribe a été liquidé pour des raisons professionnelles.
Impossible de lui demander rien de plus. Tranio et Grumio qui traînaient toujours près des filles de l’orchestre venaient de s’approcher de nous, comme des serveurs inoccupés offrant leurs services lors d’une orgie en espérant obtenir un bon pourboire.
— Ce sera pour une autre fois, me promit Ione avec un clin d’œil. (On eût pu croire qu’elle m’offrait des faveurs sexuelles.) Dans un endroit tranquille où nous serons seuls, hein, Falco ?
Je souris bravement, tandis qu’Helena Justina adoptait l’expression jalouse adéquate.
Tranio, le clown le plus grand et le plus spirituel, me lança un long regard stupide.
26
L’employé des douanes revint soudain vers nous, avec l’expression de quelqu’un qui ne comprenait pas pourquoi nous étions encore là, en train d’encombrer son précieux espace vital. Sans lui laisser le temps de changer d’avis, nous nous engouffrâmes sous la porte monumentale donnant accès à la cité.
Nous arrivions une quinzaine d’années trop tôt. C’était peu, en regard de l’entière rénovation d’une ville, mais beaucoup trop long pour des comédiens affamés qui suçaient leurs derniers noyaux de dattes. Le plan de la future Gerasa faisait montre d’une noble ambition. Il ne comportait pas un, mais deux théâtres aux proportions gigantesques. Il était également prévu un auditorium plus modeste à l’extérieur des remparts, sur le site même du fameux festival aquatique. Pas de chance, Helena m’avait formellement interdit d’y mettre les pieds. Mais pour l’instant, on ne pouvait encore admirer que les dessins de ces futures réalisations spectaculaires, et la situation actuelle ne s’annonçait pas brillante pour la troupe. Nous ne disposerions que d’une arène on ne peut plus rudimentaire dans la vieille ville, et la concurrence était rude. Il fallait défendre chèrement sa place.
Partout régnait une agitation extrême. Nous ne représentions qu’un modeste numéro dans le programme d’un cirque en folie. La réputation d’opulence de Gerasa était telle qu’elle attirait des artistes ambulants de tous les coins les plus désolés d’Orient. Les groupes de musiciens – flûte et tambour avec accompagnement de tambourin – étaient légion. Des dizaines d’acrobates en haillons et sans chaussures tentaient d’arracher la vedette à des avaleurs de feu irascibles, des harpistes manchots ou des équilibristes arthritiques. Pour un demi-denier, on pouvait voir l’homme le plus grand d’Égypte – il avait dû rétrécir en se baignant dans le Nil, car tout juste s’il faisait quelques doigts de plus que moi. Une modeste piécette permettait de contempler un bouc soi-disant né la tête à l’envers. Pour pas beaucoup plus cher, j’aurais pu acheter ce fichu bouc, car son propriétaire me confia qu’il en avait marre de faire de mauvaises affaires dans cette chaleur, et qu’il allait rentrer chez lui pour planter des haricots. J’eus vraiment une
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