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Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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en fin de travail. Évidemment, avec l’ardeur que nous y mettions, nous étions le soir très loin au-dessous du repère tracé. C’était alors les hurlements et les menaces des kapos que nous n’avions pas vus de toute la journée.
    — Le lendemain, revenant au travail au même endroit, avec la même mission, on constate que l’équipe qui nous avait remplacés avait trouvé plus simple de prendre les pierres de notre murette pour édifier la sienne, le long de la paroi en face. Évidemment, c’était beaucoup moins pénible ainsi, que de déterrer, à mains nues, et sortir de la boue les blocs de rochers. À notre tour, nous avons remis, en riant bien, notre mur à sa première place. Et ainsi pendant les deux ou trois jours où ce travail s’est poursuivi, la même navette s’est renouvelée. Vers le 27-28 avril, nous allions toujours aux tunnels, mais nous n’y travaillions plus ; l’on ne voyait plus ni kapos ni S.S. Ils devenaient prudents.
    — Nous rentrions dans le tunnel et nous nous installions à quelque distance de l’entrée, dans une partie déjà presque terminée, en tout cas beaucoup plus sèche et saine que le fond. De notre emplacement, on pouvait voir et surveiller dans la pénombre les silhouettes dangereuses qui auraient pu venir troubler notre quiétude. On les aurait vues nettement se profiler en ombres chinoises dans l’ouverture, très claire, du tunnel. Mais plus personne ne venait.
    — Nous étions un petit groupe, d’une bonne douzaine, dont M. Combenaire, cuisinier en renom, Pierre Troadec, maître d’hôtel à bord du paquebot Normandie, Lucien Biret, lui aussi ancien maître d’hôtel d’un grand restaurant nantais et devenu restaurateur de classe, un jeune dont j’ai oublié le nom, pâtissier, Quentin Miglioretti et Étienne Martin de Chateaubriant et quelques autres encore. Le ravitaillement à Ebensee était, comme la nourriture distribuée, pratiquement inexistant, et le peu qu’il pouvait y avoir était volé par certains qui s’étaient organisés en bandes. En outre, le camp était archipeuplé, tous les camps évacués s’étant, en majorité, repliés sur lui. Sa situation dans les montagnes encore enneigées du Salzkammergut et dans une vallée encaissée et profonde était la plus susceptible d’échapper aux libérateurs qui approchaient de toutes parts. La mortalité était effrayante ; on a cité le chiffre moyen de sept à huit cents morts quotidiens. Le crématoire, faute de combustible, était éteint, les fosses communes étaient archipleines et des tas de cadavres étaient empilés le long des allées du camp, tels des stères de bois dans une allée forestière. Le ventre creux, les heures s’écoulaient tranquilles à évoquer les souvenirs des jours heureux – des bons repas dégustés ou des futurs repas à faire. L’un rêvait de beefsteack (gros comme ça !), de frites, d’un camembert à point, de saucisson, de gros vin rouge, l’autre, d’omelettes, de potée, de laitages ; d’autres encore, au goût plus raffiné (mais ils étaient de loin la minorité) de homards, langoustes, gibiers, gigots… Mais je ne peux passer sous silence la cérémonie qui, rituellement, se déroulait chaque jour. À un moment donné, Troadec disait :
    — « Messieurs, je vous propose le menu du jour. » Et il énumérait des plats aux noms extraordinaires. Combanaire alors les cuisinait devant nous, émerveillés. On le voyait, tenant une casserole imaginaire, tournant avec des gestes professionnels les sauces, assaisonnant, faisant sauter et tourner les morceaux, en même temps qu’il donnait toutes les explications pour réussir la recette.
    — Je puis affirmer que l’on sentait réellement le parfum de cette cuisine de rêve. Ensuite, le maître d’hôtel (Troadec ou Biret) intervenait en annonçant :
    — « Avec ce plat, je propose ; tel vin de telle année. »
    — Et l’on suivait tous ses gestes lorsqu’il faisait le simulacre de prendre avec précaution la bouteille, de là déboucher, de la humer et de verser dans nos verres avec des précautions infinies, le précieux liquide… Et non seulement l’on en sentait le bouquet, mais aussi l’on en voyait, à travers le cristal de nos verres, la robe et la transparence ! De tels moments sont inoubliables, et je puis bien l’avouer, même si l’on ne me croit pas, je n’ai jamais fait depuis d’aussi savoureux repas !
    — … Une xciv scène que je

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