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Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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neige, firent rage pendant une quinzaine. Chaque matin, nous nous appliquions sur le corps nos minces vêtements encore trempés des averses de la veille et, après le long appel, dans le petit jour blême, nous partions sous les coups de matraque des kapos, au-devant de nouvelles douches froides.
    — Au camp, la baraque qui tenait lieu d’infirmerie était pleine. Le médecin S.S. veillait soigneusement à ce que le nombre réglementaire de malades ne fût pas dépassé. Les deux autres médecins déportés, l’un belge et l’autre polonais, étaient, là comme ailleurs, privés de moyens et impuissants à soulager les malades. Quant à l’administration de l’infirmerie, elle appartenait aux bandits de droit commun. La pègre appréciait particulièrement ces postes, car la plupart des malades ne mangeaient pas leur misérable portion et, eussent-ils même eu le désir de la manger que, sous prétexte du traitement, on la leur retirait. D’où merveilleux éléments d’échange pour ces singuliers administrateurs qui avaient transformé l’infirmerie en une véritable halle de troc à l’usage de l’aristocratie crapuleuse. La mortalité dans la baraque de l’infirmerie était effrayante. Il faut avoir vu les squelettes vivants qui en étaient les hôtes pour saisir vraiment, dans son sens littéral, l’expression n’« avoir que la peau sur les os ». On pouvait, en effet, faire sur ces êtres décharnés une étude complète de l’ossature humaine. Les jambes desséchées se rattachaient aux os en relief du bassin sans que la moindre épaisseur de chair recouvrît la région lombaire et la cage thoracique, ainsi que les clavicules, étalaient tous leurs détails avec la netteté d’une radiographie. Deux hommes occupaient chaque lit et celui des deux qui pouvait encore dormir constatait parfois à son réveil que son compagnon de couche avait cessé de vivre. À peine un malade avait-il rendu le dernier soupir – quelquefois même avant – que le chef de chambre, armé d’une forte pince, venait examiner sa denture et, s’il trouvait une ou plusieurs dents aurifiées, se hâtait de les arracher. Il n’hésitait pas, pour ce faire, à briser toute la mâchoire. Cette odieuse profanation des cadavres s’accompagnait naturellement de quelques ignobles plaisanteries, le respect de la mort étant rayé des principes nazis. L’or ainsi récupéré devait, en principe, aller grossir le trésor de la Grande Allemagne. J’ai quelque idée qu’il en devait arriver assez peu à destination.
    — Il xli est 6 h 30. Le jour se lève aussi tristement qu’à l’habitude sur la baraque 3 du block 2, celle où l’on met les malades graves afin qu’en mourant, ils ne dérangent personne. Le chef de chambre est le sinistre Karl, un condamné allemand de droit commun qui purge au bagne quelque terrible crime. Comme la plupart des détenus allemands, ce Karl frappe les détenus étrangers avec une joie sadique. Son grand plaisir est d’assommer les malades qui vomissent sur le sol ou salissent leur paillasse. Il règne férocement sur ce lieu. On murmure dans le camp qu’il lui arrive de dépêcher dans l’autre monde les moribonds dont l’agonie trouble son sommeil. Qu’ils meurent un peu plus tôt, un peu plus tard, qu’importe !
    — Le médecin de service entre dans la chambre et jette sur les travées de lits le regard dur et soupçonneux d’un homme qui s’attend au pire. C’est un déporté politique condamné à mort sur flagrant délit d’espionnage. Il parle couramment l’allemand et il a la réputation de tenir tête aux Boches lorsqu’il s’agit de sauver un camarade. Au-dehors, la sonnerie d’appel matinal a retenti. Le médecin et le chef de chambre se figent au garde-à-vous, les malades s’immobilisent sous leurs couvertures, sauf un Polak en train de trépasser qui s’agite dans son coin. Karl saisit un sabot et le lui lance en pleine figure en hurlant : « Appel ! Donnerwetter ! » Le Polonais ne bouge plus, il ne bougera plus jusqu’au Jugement Dernier. Enfin l’interminable appel se termine et le médecin commence sa visite par le premier lit où gît un Français. Conversation à voix basse :
    — « Docteur, les trois Yougos, en face… ne regardez pas… sont morts cette nuit… C’est Karl qui les a tués en leur donnant une gamelle d’eau glacée à boire… Il voulait leur tabac, il leur a pris…»
    — Le médecin constate la mort des

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