Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
Vom Netzwerk:
derrière as-tu reçu, mon vieux Pallard, pour nous ! Au début, tu protestais bien un peu, mais malgré nous, nous étions attirés par ta forge comme les papillons par la lumière. La bonne chaleur qui rayonnait de ton coin donnait de la force à nos pauvres os et nous permettait de redresser un peu nos épaules fourbues. Pallard finit par ne plus rien dire et il arrivait qu’il nous donne lui-même l’alarme, se préparant stoïquement à affronter seul l’orage. C’était un homme calme dont la meilleure distraction consistait à jeter dans son brasier ardent des pincées de poux qu’il tirait des endroits les plus invraisemblables de son corps. C’était certainement de nous tous celui qui possédait la colonie la plus nombreuse. Étant presque toujours à la chaleur, son corps était un lieu de prédilection pour les poux, et, lorsque la chemise ouverte il travaillait à sa forge en mâchant à son habitude un bout de bois, on voyait, même à distance, des processions d’insectes courir sur sa poitrine velue et décharnée. C’était affreux, mais lui aussi avait fini par prendre l’habitude et vivait sans étonnement avec sa compagnie innombrable.
    — Ce fut le temps également où la dysenterie prit des proportions effroyables. Pour la combattre, aucun remède ne fut jamais distribué. Nous en étions réduits à des médications rudimentaires. Celles dont je me trouvais le mieux furent au nombre de deux. La première consistait à placer notre maigre ration de pain coupé en tranches fines sur une plaque brûlante. On laissait les tranches de pain griller lentement jusqu’au moment où elles étaient carbonisées entièrement, puis on les mâchait et on tâchait d’avaler la bouillie de charbon ainsi obtenue. La deuxième médication revenait à mâcher des bouts de planches préalablement carbonisées. Tout cela n’avait évidemment rien d’agréable, mais ceux qui voulaient tenir à tout prix avaient tous adopté l’un ou l’autre des deux remèdes de leur choix, et je suis persuadé que ces méthodes thérapeutiques nous furent, du moins en ce qui me concerne, efficaces et m’évitèrent le pire, comme à beaucoup de camarades, morts d’épuisement par la dysenterie… Cette maladie, aux symptômes et à l’évolution peu engageants, fit des ravages énormes dans nos rangs et beaucoup de mes camarades ayant pourtant résisté jusque-là ne purent y survivre. On trouvait des morts assis sur les sièges rudimentaires des w.-c., certains même, pris de syncope, tombaient dans les fosses et mouraient là.
    — Le camp était empesté par une odeur épouvantable, mais nous n’en étions pas incommodés, étant depuis longtemps habitués à d’autres odeurs. Je dois dire que les Boches ne firent rien pour combattre le typhus, la gale et les poux. Le « Revier » du camp n’avait d’autres médicaments que de l’aspirine que l’on donnait parcimonieusement aux grands malades. Pas de teinture d’iode, d’alcool, de pommades antiseptiques, d’élixir parégorique, de charbon. Les pansements étaient constitués par des bandes de papier et les infirmiers qui vous faisaient la faveur immense de vous panser lorsque votre plaie en valait vraiment la peine, vous prévenaient d’avoir à récupérer le rouleau de papier de pansement. Recommandation bien inutile, car la plupart du temps, avant même de sortir du « Revier », la bande de papier amollie par les suppurations des plaies était déjà hors d’usage. J’ai souvenance d’un accident survenu à un de mes camarades, Louis Monteillet, du Puy. Il travaillait une nuit sur son étau-limeur, lorsque par suite d’une inattention ou de l’insuffisance des réflexes (qui s’étaient considérablement réduits chez nous tous) sa main se trouva sur le passage de l’outil tranchant. Toute la chair de sa main gauche, entre le pouce, l’index et le poignet, disparut en un instant, laissant les tendons à nu. Le pauvre bougre s’évanouit. Je me précipitai et pour arrêter l’hémorragie, coupai une bande de ma chemise répugnante pour m’en servir de garrot. Puis je lavai tant bien que mal la plaie avec de la neige fondue ramassée dans ma gamelle jamais lavée. Le malheureux traîna ainsi, sans avoir obtenu un jour de repos, avec sa main bandée de chiffons dégoûtants jusqu’à la Libération. La main et le bras enflaient et désenflaient alternativement. Une chance invraisemblable, la gangrène ne se déclara pas. Quand

Weitere Kostenlose Bücher