Des Jours sans Fin
captivité. Dussé-je vivre l’éternité, jamais elle ne s’effacera de ma mémoire. Nous étions dans la chambre et la joie de ceux qui tenaient encore debout ne respectait même pas ceux qui mouraient en cette ultime nuit. Le ciel était sillonné de lueurs. De plus en plus proche, de plus en plus distincte, nous entendions l’avance alliée.
— Lorsque le matin arriva, nous étions dans un état de surexcitation indescriptible. Vers 5 heures, l’ordre arriva de se rassembler, et le S.S. « Lagerführer » nous avertit d’avoir à nous tenir tranquilles et que l’on allait nous conduire dans les abris des usines pour nous préserver du bombardement d’artillerie. Un pressentiment nous avertit, et au lieu d’obtempérer, nous regagnons rapidement nos baraques où nous nous barricadons après avoir éliminé tous les éléments douteux : chefs de block, chefs de chambre, kapos, Stubedienst, etc.
— En prévision de la suite probable, les plus valides démolissent les lits et se munissent des montants pour les utiliser comme massues. C’est un peu ridicule, mais ce sont les seules armes à notre disposition. Certains d’entre nous, dont je suis, sortent les armes les plus diverses de leur cachette. Depuis environ trois mois, j’avais fabriqué, avec mille précautions, une sorte de poignard pris dans une lame de scie à métaux, épaisse, de 20 centimètres de long et 4 de large à la base, effilée et aiguisée amoureusement, terminée par un manche formé d’un morceau de tube de caoutchouc. Avec des ruses d’Indien, j’avais dissimulé cela dans ma paillasse. Cette arme ne me fut d’aucun secours car, l’ayant posée sur mon lit et perdue de vue quelques secondes, je ne la retrouvai plus. Je soupçonnai toujours un Russe qui couchait à côté de moi de me l’avoir volée. J’en éprouvai sur le moment un grand regret et courus me procurer sur l’heure un morceau de poêle de fonte que l’on venait justement de briser.
— Attendant une attaque quelconque des S.S., nous restons là à tourner dans la chambre, toujours avec l’accompagnement du bruit de la bataille de plus en plus rapproché. Une heure s’écoule environ, puis le « Lagerältester » fait une tournée dans les blocks et nous informe de la part des S.S. que le projet de nous amener dans les « bunkers » vient d’être abandonné, et que le chef de camp nous propose de nous emmener hors du camp, ce dernier, de par sa position stratégique, devant obligatoirement être compris dans la zone de combat. À Linz, le Danube coule dans une vallée encaissée et les montagnes qui le bordent sont creusées de grottes naturelles immenses. C’est là que le lieutenant S.S. chef de camp, abdiquant pour la première fois son pouvoir absolu, nous propose de nous conduire. Les premières bouffées du vent de la liberté nous parvinrent au travers de cette abdication de celui qui, jusque-là, avait sur nous droit de vie et de mort.
— Nous nous laissons persuader et, vers 8 heures, formés en colonne par cinq, encadrés comme toujours par les S.S., nous quittons le camp. Après un parcours de 5 à 6 kilomètres, que nous mettons deux heures à couvrir en laissant des camarades tout au long de la roule, nous arrivons enfin dans les sous-bois. Nous avons laissé au camp beaucoup de camarades malades ou dans l’impossibilité de marcher.
— De l’endroit où nous sommes, nous dominons la ville. Toute la journée nous allons assister aux tirs d’artillerie qui précèdent l’assaut. Au départ du camp, nous avons touché chacun une boule de pain et un demi-bloc de margarine que nous avons dévorés en chemin. Cette nourriture inespérée m’a donné la force d’accomplir ces quelques kilomètres malgré la souffrance et la faiblesse.
— Vers 17 heures, en cette journée du 5 mai 1945, qui devait être la dernière de notre calvaire, nous voyons avec une joie indicible les premiers drapeaux blancs monter aux édifices de Linz.
— La ville se rend… C’est fini… Peu à peu, le bruit de la bataille s’apaise. On entend encore quelques fusillades çà et là, mais à 17 h 30 tout est rentré dans le calme. Nous sommes trop loin pour entendre le roulement des véhicules vainqueurs qui entrent dans la place.
— Nous ne savons pas du tout ce que nous allons devenir. Allons-nous passer la nuit sur place ? Le commandant S.S., entouré de son état-major, paraît tenir un conseil de guerre. Que va-t-il encore
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