Des rêves plein la tête

d'années, avait un visage énergique barré par un soupçon de
moustache. Sa chevelure grise était emprisonnée dans un filet.
     
    — Dis donc, es-tu
en train d'accoucher, toi ? demanda-t-elle à Laurette sans la moindre trace de
timidité. Je te regarde depuis tout à l'heure, ça a pas l'air d'aller pantoute.
     
    — Mes
contractions viennent de commencer, avoua la future mère, désemparée de ne pas
voir son mari revenir plus vite.
     
    — Où est ton mari
?
     
    — Il s'en vient,
répondit Laurette en réprimant une grimace de souffrance causée par une
nouvelle contraction.   .
     
    — Bon. Ça a tout
l'air que tu pourras pas attendre indéfiniment, conclut l'inconnue. Tu peux pas
accoucher ici, au milieu du parc, devant tout le monde. Où est-ce que tu restes
?
     
    — Sur la rue
Emmett.
     
    — Gerry!
cria-t-elle à quelqu'un que Laurette ne pouvait voir. Viens me donner un coup
de main. Énerve-toi pas, ajouta-t-elle à l'intention de la femme souffrante,
     
    mon garçon va
aller te reconduire chez vous. Son char est juste là, dans le parking.
     
    Au moment où un
homme à demi-chauve s'approchait, Gérard arriva en courant, distançant Bernard
de peu.
     
    — Qu'est-ce qui
se passe ? demanda-t-il, alarmé.
     
    — Il me semble
que ça se voit, l'apostropha la dame, dont la patience ne semblait pas être la
vertu première. Laisse faire tes questions niaiseuses et aide plutôt mon garçon
à la transporter jusqu'à son char. Il va aller la reconduire chez vous.
     
    — Oui, mais... v
     
    — Grouille, je te
dis. Tu vois pas que ça presse ?
     
    — Vas-y, Gérard,
intervint son beau-frère. Marie-Ange et moi, on va s'occuper des enfants. On va
les amener chez nous et tu viendras les chercher quand tout sera fini.
     
    — Merci, Bernard,
trouva la force de dire Laurette avant de se mettre en marche, supportée par
Gerry et son mari.
     
    La dame aida la
future maman à prendre place sur la banquette arrière d'une vieille Dodge bleu
nuit et s'assit à ses côtés. Son fils démarra dès que Gérard se fut assis à
l'avant. Moins de cinq minutes plus tard, la voiture s'immobilisa devant la
porte de l'appartement des Morin.
     
    La quinquagénaire
aida Laurette à sortir de l'automobile pendant que Gérard déverrouillait la
porte d'entrée. Il s'attendait à ce que les bons Samaritains les quittent, mais
il n'en fut rien.
     
    — Va téléphoner
au docteur Miron, lui ordonna sa femme avant d'entrer dans l'appartement.
Dis-lui que ça presse. Le bébé s'en vient.
     
    — C'est ça,
confirma l'inconnue sur un ton autoritaire. Fais ça vite, mais j'ai ben
l'impression qu'il va arriver trop tard.
     
    — Qu'est-ce qu'on
va faire ? demanda Gérard, désemparé.
     
    — T'as juste à
faire ce que ta femme vient de te dire, répliqua sèchement la femme.
Inquiète-toi pas, je vais rester avec elle. J'ai déjà aidé à accoucher ben des
fois. Puis toi, Gerry, tu peux retourner chez nous, dit-elle à son fils demeuré
silencieux près de sa voiture. Tu reviendras me chercher dans une heure ou deux.
     
    Sans plus se
préoccuper des deux hommes, elle attrapa Laurette par un bras et l'entraîna à
l'intérieur de son appartement.
     
    — Ils sont tous
pareils, les hommes, dit-elle au moment où Laurette se laissait tomber sur son
lit. Aussitôt qu'on les sort de leur routine, il y a rien à faire avec eux
autres. Ils sont comme des poules sans tête. Bon, prépare-toi pendant que je
vais aller faire chauffer de l'eau sur le poêle. Quand ton mari va revenir, je
vais lui dire de sortir les affaires de ton petit. En attendant, on va ouvrir
la fenêtre de cette chambre-là avant de mourir étouffées.
     
    — Ils vont
m'entendre dehors, dit Laurette, haletante, en proie à une autre contraction.
     
    — Puis après ?
T'imagines-tu que le monde autour pense que les petits viennent au monde dans
les choux, la rabroua son infirmière improvisée. Laisse faire ce qu'ils
pensent. Occupe-toi de te préparer et de mettre au monde cet enfant-là, lui
conseilla-t-elle.
     
    — Merci. Vous
êtes ben fine, fit Laurette, domptée, au moment où la femme sortait de la
chambre.
     
    Gérard revint à
l'appartement moins de cinq minutes plus tard et trouva l'inconnue en train
d'étendre un drap sur la table de cuisine.
     
    — C'est sa femme
qui m'a répondu, lui dit-il. Elle sait pas trop où il est. Elle pense qu'il est
peut-être à l'hôpital. Elle m'a dit qu'elle était pour essayer de le rejoindre
le