Des souris et des hommes
parles, nom de Dieu. Me cacher dans les fourrés et attendre que
George arrive.
Il enfonça
son chapeau sur ses yeux :
— George
va m'engueuler, dit-il. George va regretter de n'être pas seul, et que je sois
là, à l'ennuyer.
Il tourna
la tête et regarda le sommet lumineux des montagnes.
— J’pourrais
aller là-haut et me chercher une caverne, dit-il.
Puis il
continua tristement :
— ...et
plus jamais de coulis de tomates... mais, j’m'en fous. Si George n' veut
plus de moi... j’m'en irai, j’m'en irai.
Et alors,
du cerveau de Lennie sortit une grosse petite vieille. Elle portait des
lunettes à verres épais, et un tablier à poches, en guingamp, et elle était
propre et empesée. Elle se tenait devant Lennie, les poings sur les hanches, et
elle le regardait en fronçant les sourcils d'un air de reproche.
Et, quand
elle parla, ce fut par la voix de Lennie.
— Je
te l'ai dit et redit, dit-elle. Je te l'ai dit : « Suis les conseils
de George, parce que c'est un gentil garçon, et il est toujours très bon pour
toi. » Mais tu n'en fais pas de cas. Tu fais de vilaines choses.
Et Lennie
répondit :
— J'ai
essayé, tante Clara. J'ai essayé et essayé ma tante. J'ai pas pu m'en empêcher.
— Tu
ne penses jamais à George, continua-t-elle par la voix de Lennie. Il ne cesse
de te faire des gentillesses. Quand il a un morceau de tarte, il t'en donne
toujours la moitié, et même un peu plus. Et s'il y avait du coulis de tomates,
il serait capable de tout te le donner.
— Je
le sais, dit Lennie misérablement. J'ai essayé, tante Clara. J'ai essayé et
essayé, ma tante.
Elle
l'interrompit :
— Il aurait
pu être si heureux si t’avais pas été là. Il aurait pu garder tout son salaire
et aller rigoler au bordel, et il aurait pu aller faire une poule au billard.
Mais il faut qu'il s'occupe de toi.
Lennie
gémissait de chagrin.
— Je
sais, tante Clara. J’vais m'en aller dans la montagne et me chercher une
caverne où que je pourrai vivre, comme ça j'embêterai plus George.
— Tu
dis ça, dit-elle d'un ton tranchant. Tu dis tout le temps ça, mais tu sais bien
que tu n' seras jamais foutu de le faire. Tu resteras là, comme toujours,
à l'emmerder, ce pauvre George.
Lennie dit :
— Vaut
autant m'en aller. George ne me laissera plus soigner les lapins, maintenant.
Et tante
Clara disparut, et, du cerveau de Lennie sortit un lapin gigantesque. Il
s'assit en face de lui, remua les oreilles et trémoussa le nez. Et il parla
également par la voix de Lennie.
— Soigner
les lapins ! dit-il avec mépris. Bougre d'idiot. Tu ne mérites même pas de
leur lécher les bottes, aux lapins. Tu les oublierais, tu les laisserais mourir
de faim. Voilà ce que tu ferais. Et alors, George, qu'est-ce qu'il dirait ?
— Non
j'oublierais pas, dit Lennie à haute voix.
— J’t'en
fous, dit le lapin. Tu n' vaux pas la corde pour te pendre. Dieu sait que
George a fait tout ce qu'il était possible de faire pour te tirer du ruisseau,
mais ça n'a servi à rien. Si tu te figures que George va te laisser soigner les
lapins, t’es encore plus dingo que d'habitude. Il n' fera jamais ça. Il te
foutra une bonne volée de coups de bâton, voilà ce qu'il fera.
Cette
fois, Lennie se rebiffa.
— Ça,
jamais de la vie. George ne fera jamais une chose pareille. J’connais George
depuis... j’sais pas combien de temps... et jamais il ne m'a menacé d'un bâton.
Il est gentil avec moi. Il n' va pas commencer à être méchant.
— Oui,
mais il en a plein le dos de toi, dit le lapin. Il va bien t'engueuler, et puis
il s'en ira, et il te laissera.
— Non,
cria Lennie affolé. Non, il n' fera pas une chose pareille. J’le connais,
George. Lui et moi, on voyage ensemble.
Mais,
doucement, le lapin répétait sans cesse :
— Il
te laissera, bougre de couillon. Il te laissera tout seul. Il te laissera,
bougre de couillon.
Des deux
mains, Lennie se boucha les oreilles :
— Non !
« J’te dis que non ! — et il s'écria : — Oh !
George !... George !... George !...
George
sortit tranquillement des fourrés, et le lapin rentra se cacher dans la
cervelle de Lennie.
George dit
avec calme :
— Qu'est-ce
que t’as à gueuler ?
Lennie se
redressa sur les genoux :
— Tu
me laisseras pas, dis, George ? J’sais bien que tu me laisseras pas.
George,
d'un pas raide, se rapprocha et s'assit près de lui.
— Non.
— Je
l' savais, s'écria
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