Dieu et nous seuls pouvons
gens armés dans notre petite ville.
— Tiens donc ! Et le
Septième alors ? Ne me dites pas qu’il sort sans son lefaucheux.
— Vous connaissez Hippolyte
Pibrac ?
— Je ne vois pas ce que nous
ferions dans un trou pareil si ce n’était pas le cas.
— Il sait que vous venez ?
— Bien sûr qu’il le sait
puisqu’il nous a invités.
Le Breton prit un air
soucieux :
— Ne me dites pas que nous
sommes les seuls à nous être déplacés.
Soudain son visage s’éclaira. Les
gendarmes suivirent son regard.
— Tenez ! Quand on parle
du loup, dit le Breton, le voilà. Regardez, vous autres, ajouta-t-il à
l’intention de ses valets : C’est Casimir Plagnes, le fils de Félix, à ses
côtés, et le gosse au milieu, c’est le Huitième, celui sur la carte postale.
Le landau rouge et noir aux
portières blasonnées venait dans leur direction. Calmejane se souvint alors de
la carte postale qu’il avait reçue deux mois auparavant. Ainsi la
« pendaison de la crémaillère » allait bien avoir lieu ! Encore
une fois, la ville avait sous-estimé la capacité de son ancien bourreau à la
plonger dans l’embarras.
« J’en connais plus d’un qui
vont détester cette fête », se dit-il en songeant plus particulièrement à
Léon.
Ce dernier se trouvait dans sa
boutique lorsque plusieurs vieux messieurs entrèrent pour s’enquérir du chemin
de l’oustal Trouvé-Pibrac.
— Nous avons lu le même nom sur
votre devanture, expliquèrent-ils. Vous êtes de la famille ?
— Pour quelle raison allez-vous
là-bas ?
— Pour l’inauguration du musée.
Vous devriez le savoir, si vous êtes de la famille.
Léon leur indiqua la route de
Saint-Flour qui se situait à l’exact opposé de celle menant à la croisée du
Jugement-Dernier. Après qu’ils eurent disparu, il prit une échelle et alla
décrocher l’enseigne Boulangerie-pâtisserie Léon Trouvé.
*
L’entrée d’Hippolyte, Casimir,
Saturnin et des trois Bretons dans la salle du Croquenbouche provoqua un joyeux
hourvari parmi les exécuteurs déjà présents. On se bouscula pour se serrer la
main, pour se donner l’accolade, pour se claquer dans le dos en se lançant des
sourires carnassiers dévoilant des dentures souvent trop blanches pour être
vraies.
Regroupés au fond de la salle, les
habitués tentaient de comprendre.
— Tous ces vieux ne sont quand
même pas tous des bourrels ?
— Écoutez-les, ils ont tous des
accents différents.
— Tu as raison. Qui d’autre est
capable de faire ainsi la fête au Pibrac sinon un autre bourrel ?
D’ailleurs, regardez leur dégaine.
— Macarel ! Il en arrive
d’autres, c’est une invasion.
— Vous avez vu ? Il ne
manque pas d’air, de se teindre les cheveux à son âge.
— Vous pensez que c’est légal,
vous, une telle quantité de bourreaux en même temps ?
— J’en sais rien. Ce que je
sais en revanche, c’est que ce n’est pas moi qui vais le leur demander.
*
En dépit de l’absence du président
Fallières et des membres de son gouvernement, l’inauguration du premier musée
des hautes et basses œuvres fut un grand succès. Plus de cent soixante invités
signèrent le livre d’or disposé dans le salon ; le nombre et la qualité
des donations émurent Hippolyte jusqu’aux larmes.
Malgré la distance et l’encombrement
de l’objet, le garrotteur de Madrid avait apporté un magnifique banc
d’étirement en noyer du xvi e siècle en parfait état de marche et
portant de nombreuses traces d’usage. L’ancien exécuteur du Périgord offrit une
douzaine de poires d’angoisse en argent du XIII E siècle finement
ciselées ainsi qu’un rarissime arrache-seins à quatre pointes utilisé jadis sur
les sorcières et les filles mères coupables d’avortement.
Le carcan de chêne à deux places où
l’on emprisonnait face à face les querelleurs afin qu’ils aient le loisir de
mieux se connaître fut apporté par Gutman de Munich, dont les cuisses musclées
dévoilées par sa paire de Lederhosen faisaient l’admiration des dames.
Fidèle à sa réputation de joyeux
lascar, le nonagénaire Alex Chargasse de Dijon donna une édition originale de
1781 du Manuel théorique et pratique de la flagellation des femmes esclaves, un ouvrage rare mais fort connu de l’hermétique cercle des exécuteurs.
L’auteur, un planteur espagnol de Cuba, avait répertorié cent trois différentes
manières de fouetter une esclave et
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