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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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c’est long, surtout si l’on ne veut pas du travail bâclé.
    — Je vous accorde jusqu’à la
Saint-Jean. Si vous ne pouvez pas, tant pis, je m’adresserai à l’un de vos
confrères de Rodez.
    Alphonse Puech vivotait de son art
grâce aux mariages et baptêmes locaux, aux photos de classe en fin d’année
scolaire et à celles de la crèche de Noël qu’organisait l’église Saint-Laurent.
Il ne pouvait laisser passer une telle commande. Il accepta.
    — Fort bien. Sachez toutefois,
monsieur Puech, que tout cela doit rester entre nous. Si ce n’était pas le cas,
mon valet que voici viendrait vous tirer les oreilles de ma part. Et il est si
maladroit, le bougre, qu’elles risqueraient de lui rester entre les doigts.
Serviteur, monsieur l’artiste !
     
    *
     
    Le jour de la Saint-Jean, deux mille
cinq cents cartes postales seulement étaient prêtes. Hippolyte n’en tint pas
rigueur au photographe et lui accorda un délai raisonnable pour terminer. La
qualité du travail justifiait une telle mansuétude. Puech avait situé l’oustal
dans l’encadrement du portail de pierre et de son blason. Les tours crénelées
se détachaient sur un ciel qu’il avait colorié en bleu cobalt. La guillotine
sur son échafaud se dressait devant la façade. Au pied de l’escalier,
Hippolyte, Saturnin et Casimir souriaient de toutes leurs dents.
    Ce soir-là, grâce à la postière,
toute la ville sut que Casimir avait non seulement acheté tous les timbres de
la poste, mais qu’il en avait commandé trois mille : tarif carte postale.
    Ce même soir, dans l’oustal,
Hippolyte collait le premier timbre sur la première carte postale.
    — Elle revient de droit à Léon.
Avec un peu de chance, il nous en fera une deuxième jaunisse.
     
    *
     
    A l’œil pétillant du facteur et à
son goguenard « Une bien bonne journée pour vous aussi, m’sieu
Trouvé », Léon sut que « quelque chose » était dans l’air. Il
examina son courrier. La carte postale le consterna.
    — Mais non, voyons, mon vieux
Léon, tu rêves tout simplement et tu vas te réveiller, alors cette… CHOSE aura
disparu comme tout cauchemar qui respecte l’ordre de la nature.
    La carte postale ne disparut pas.
Léon se traîna jusqu’à l’arrière-boutique où il se servit un grand verre de
porto qu’il avala cul sec.
    — Ça ne va pas ?
s’inquiéta Hortense.
    — Ça ne va effectivement pas.
    Il se versa un autre verre. Hortense
à son tour découvrit la carte postale et comprit. Oh, le pire n’était pas
l’affligeante présence de son beau-père, de son détestable valet et de
Saturnin, parfaitement identifiables au pied de l’engin de mort, mais les
légendes qui l’accompagnaient et qui, en une ligne, ruinaient des années
d’efforts et des milliers de francs (or) dépensés en vain :
     
    VISITEZ L’UNIQUE MUSEE HISTORIQUE DES
    HAUTES ET BASSES ŒUVRES DE
    BELLEROCAILLE EN AVEYRON
     
    était inscrit au recto tandis qu’au
verso on lisait :
     
    L’OUSTRAL-MUSEE,
    BERCEAU DE LA FAMILLE TROUVE-PIBRAC
    EXECUTEURS DEPUIS SEPT GENERATIONS.
     
    Trouvé-Pibrac !
    Un court texte calligraphié suivait.
Hortense reconnut l’écriture de son beau-père :
     
    Vous êtes cordialement invités à la pendaison de la
crémaillère, le dimanche 1 er septembre 1907. Cette carte tient lieu
de carton d’invitation.
     
    Trouvé-Pibrac !
     
    *
     
    Ce fut la postière qui l’avertit que
son père ne se contentait plus d’envoyer ses cartes postales aux notables de
Bellerocaille, mais qu’il les adressait aussi à ceux de Rodez, Albi, Toulouse,
Montpellier, Nevers, Lille, de la France entière.
    — La cadence est d’une centaine
par jour. Les écritures ne sont pas toutes semblables, j’en ai compté trois
différentes.
    Hippolyte, Casimir et Saturnin bien
sûr… et si les chiens avaient su écrire, ils auraient été embauchés.
    L’efficace autant que complaisante
postière lui recopia des listes de noms. Son père semblait avoir perdu toute
mesure. Il postait maintenant des invitations aux conservateurs des principaux
musées parisiens, à l’inspecteur général des monuments historiques, mais aussi
au président de la République Armand Fallières (et son épouse), au garde des
Sceaux, au Conseil d’État et au Conseil de la magistrature ainsi qu’à tous les
ministres en exercice (invitation collective).
    Même Nicolas Malzac eut droit à la
sienne. Sous sa signature, Hippolyte avait ajouté un ambigu :

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