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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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sœur aînée qui a renié la famille depuis
qu’elle a épousé un médecin.
    Rares étaient les familles qui
n’avaient pas subi ce genre de rejet. On pouvait même affirmer que les familles
absentes en ce jour étaient celles qui depuis l’abolition de leur charge
s’efforçaient de passer la ligne en se fondant dans l’anonymat, en
changeant de nom ou en disparaissant à l’étranger.
    Ménageant ses effets, Anatole sortit
alors un porte-documents qu’il ouvrit.
    — Il contient les brouillons de
toutes les lettres importantes qu’il a écrites. J’en ai lu quelques-unes durant
le voyage, c’est passionnant. Il y a aussi ses doubles de mémoires de frais. Et
puis il y a surtout son palmarès.
    Ancienne tradition corporative, les
exécuteurs avaient pour coutume de tenir à jour le compte exact de leurs
exécutions. Or il était notoire que Charles Henri Sanson avait pulvérisé tous
les records. Posséder son palmarès était tout simplement inespéré.
    La nouvelle enchanta l’assistance.
Tous voulurent connaître son bilan.
    — Quand j’étais petit, mon
grand-père disait qu’il avait dépassé les mille. Mais j’ai toujours eu du mal à
le croire, dit Doublot, l’ancien exécuteur de Blois.
    — Combien ? Alors,
combien ? s’impatientait-on.
    Hippolyte feuilleta le carnet et
trouva le total. Le chiffre le laissa sans voix.
    — Combien ? Vous allez
nous le dire, à la fin ?
    — Deux mille neuf cent
dix-huit.
    On entendit le vent bruire dans les
arbres autour de la crypte. Les femmes cessèrent leurs papotages pour se
tourner vers les hommes soudain silencieux.
    Charles Henri Sanson ne s’était pas
contenté d’inscrire platement l’identité de ceux qu’il avait expédiés ad
patres, il avait profité de sa retraite pour les classer par âge, sexe,
profession, rang. On apprenait ainsi qu’en dix-sept ans de carrière, il avait
coupé vingt-deux adolescents de moins de dix-huit ans, cent trois vieillards
entre soixante-dix et quatre-vingts ans, plus neuf nonagénaires. Sur ces deux
mille neuf cent dix-huit, deux mille cinq cent treize étaient des hommes,
quatre cent un des femmes. Les quatre restants étaient désignés de sexe
incertain.
    Charles Henri avait décapité six
évêques et archevêques, vingt-cinq maréchaux et généraux, deux cent
quarante-six magistrats et membres du parlement, trois cent dix-neuf prêtres et
moines, quatre cent dix-neuf financiers, avocats, docteurs, notaires, trois
cent dix-huit nobles des deux sexes, seize artistes divers, un roi, une reine.
     
    *
     
    Le maître des lieux avait cru voir
grand en prévoyant une cinquantaine de convives : or il en était venu cent
soixante, qu’il fallait héberger, nourrir et abreuver.
    Réunissant les épouses, Hippolyte
leur confia son problème d’intendance.
    — C’est au nom de la nécessité
absolue que je vous réquisitionne.
    Victor et Hugo tués plus tôt ne
suffisant plus, on sacrifia les quinze poules et les huit oies gavées au maïs,
de même que les onze lapins élevés à la luzerne et aux carottes.
    — Prenez, prenez, quand il n’y
en a plus, il y en a encore, leur répétait Hippolyte lorsqu’il apparaissait
dans la cuisine pour superviser le suivi du repas.
    On ralluma le four à pain et l’on
vida le potager et le verger. La chaîne du puits ne cessait de grincer tant le
besoin en eau était grand.
    — S’il vous manque quoi que ce
soit, demandez à Casimir. Et si nous n’en avons plus, nous irons en chercher en
ville.
    Les Amis de la musique et la fanfare
municipale ayant refusé de venir, Hippolyte avait envoyé Casimir à Racleterre
louer les services d’un quatuor campagnard spécialisé dans les noces et
banquets.
    Très réservés au début, surtout
lorsque Hippolyte leur avait désigné l’échafaud en guise d’estrade, ils se
détendirent par la suite grâce au chaleureux accueil fait à leur première
polka. Plus tard, on leur porta du champagne et quelqu’un venait régulièrement
s’enquérir de leurs besoins.
    A l’instant du gâteau, Hippolyte
leur fit signe d’arrêter leur prestation et de se joindre à eux, une attention
à laquelle ils furent particulièrement sensibles. Plus tard, stimulés par tant
d’urbanité, ils jouèrent avec un entrain si communicatif que même les pieds des
jeunes de Bellerocaille se mirent à marteler le sol en cadence. Réunis sur les
trois places, ils distinguaient le son des violons.
    — Pourquoi on n’a jamais

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