Dieu et nous seuls pouvons
rouste.
Saturnin s’installa seul sur le
siège en disant :
— On a brisé la vitrine de
l’oncle Léon. Il dit que c’est un de nos invités.
— S’il peut le prouver, qu’il
aille aux gendarmes et s’il ne le peut pas, qu’il se taise.
Une demi-heure plus tard, le landau
revenait à l’oustal où tout était rentré dans l’ordre : la cour était
balayée, la vaisselle faite et rangée, le dallage de la cuisine lavé, l’échafaud
démonté. L’attelage des Deibler était dans la cour, les malles étaient chargées
à l’arrière.
Saturnin entra. Son grand-père était
attablé en compagnie d’Anatole et de Rosalie sur le départ. Ils le regardèrent
avec bienveillance. Il eut le sentiment qu’ils parlaient de lui, une impression
qu’Hippolyte confirma.
— Nous t’attendions. Va ranger
ton cartable et viens t’asseoir avec nous. Anatole veut te dire quelque chose
avant de partir.
Il grimpait l’escalier quatre à
quatre lorsqu’il ralentit en entendant Casimir raconter le bris de la vitrine
de l’oncle Léon. Son grand-père eut un rire joyeux.
— Ce doit être Artault de
Poitiers. Il m’a raconté qu’il avait demandé son chemin dans une pâtisserie et
qu’il s’était retrouvé à perpète sur la route de Saint-Flour.
Saturnin courut jusque dans sa
chambre, lança son cartable sur le lit et déjà faisait demi-tour.
Il s’assit bien droit à côté de son
grand-père et attendit qu’Anatole dise ce qu’il avait à dire.
— Aimerais-tu venir à Paris
apprendre le métier ?
Une lueur inquiète traversa le
regard du garçon.
— Maintenant ?
— Non, bien sûr. Passe d’abord
ton brevet. Tu as tout le temps d’y réfléchir. Ton grand-père est certain que
tu sauras te distinguer. Moi, je dis qu’il faut attendre ta première exécution
pour savoir.
— J’en ai déjà vu une,
monsieur. C’était même vous et grand-père qui coupiez. J’étais petit mais je
m’en souviens bien.
Hippolyte et Anatole eurent un air
embarrassé : à aucun moment durant ces deux jours ils n’avaient évoqué
leur différend. Rosalie fit diversion.
— Ça te plairait de connaître
Paris ?
— Oui, madame.
On en resta là. Les Deibler prirent
congé, emportant un lot de cent cartes postales pour les distribuer chaque fois
que l’occasion s’en présenterait. Le tout n’était pas d’ouvrir un musée, encore
fallait-il que les gens connaissent son existence.
— L’idée d’assister Anatole n’a
pas l’air de t’emballer, s’étonna plus tard Hippolyte.
— C’est l’idée de partir d’ici
qui ne me plaît pas, grand-père. Sinon j’aimerais beaucoup monter à Paris et
devenir exécuteur comme toi. Mais ici, je suis bien et je n’ai pas envie de
m’en aller.
Chapitre VII
Paris, gare d’Austerlitz, le
jeudi 3 septembre 1913.
Anatole Deibler eut un choc en
reconnaissant Saturnin qui descendait du train. Il gardait le souvenir d’un
gamin en culottes courtes et retrouvait un jeune homme aux épaules carrées qui
lui serra la main d’une poigne énergique.
Tête nue, les cheveux noirs plaqués
en arrière découvrant un grand front lisse, il portait une confortable veste de
chasse en velours noir, un gilet fantaisie en soie brodée, une chemise blanche
à jabot, une culotte de daim et des bottes noires sans revers montant jusqu’au
bas des genoux. Il ressemblait à un hobereau du siècle dernier.
— Bonjour, monsieur Deibler.
— Bonjour, mon garçon. Sois le
bienvenu à Paris. Comment va ton grand-père ? Et Casimir ?
— Ils vont bien et vous
transmettent leurs amitiés.
Anatole désigna son voisin, un homme
au petit nez en trompette souligné par une moustache en touffe de persil.
— Voici Yvon, mon adjoint de
première classe. C’est lui qui va te débourrer.
Saturnin lui serra la main puis dit
à Deibler d’une voix dépourvue de forfanterie :
— Grand-père s’en est déjà
chargé. Il dit qu’à part vous et lui, personne n’en sait autant que moi… En
théorie bien sûr.
Anatole eut une mimique embarrassée,
Yvon grimaça.
— Pour un péquenot qui débarque
tout frais de sa cambrousse, je le trouve bien plastronneur.
— Laisse-lui le temps de se
faire à nos manières, dit Anatole. Et puis ne restons pas là, plantés sur ce
quai.
Saturnin les suivit en se demandant
s’il devait relever l’insulte qu’il avait devinée dans ce
« péquenot ». Qu’aurait fait son grand-père ?
En
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