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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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boutique, un grand sourire aux lèvres.
    — J’ai deux faveurs à vous
demander, mon brave.
    Les yeux ronds, Léon avait dévisagé
le notable.
    — A moi ?
    — Mais oui, à vous.
    La première faveur consistait à ne
plus acheter de bois aux fagoteurs montagnols, la seconde à signer une pétition
destinée à contraindre Barthélémy Boutefeux, le maire « rouge », à
prendre les mesures qui s’imposaient pour enrayer cette invasion quotidienne de
gueux.
    — Au début, ils se contentaient
de glaner, mais, depuis peu, ils cassent des ramées et sont en train de nous
ravager la forêt des Ribaudins, pour ne citer que celle-là.
    Bredouillant quelques phrases
maladroites où il était question de l’« Insigne honneur » qui lui
était fait en mêlant son nom au gratin de la cité, Léon signa la pétition, peu
surpris de lire que la première des signatures émanait du président de la
corporation des charbonniers-marchands de bois.
    — A propos, cher Pibrac, notre
société reçoit dimanche prochain l’éminent professeur Marguerite. Il donnera
une conférence sur le thème Le besoin de tranquillité est-il plus naturel à
l’homme que le besoin de liberté ? Soyez des nôtres, je compte sur
vous.
    Président-fondateur de la Société
des amis du bon vieux temps, le docteur Beaulouis préparait activement les
futures élections, bien décidé cette fois à bouter de la mairie ce
« partageux », ce « sans-Dieu » de Boutefeux, ci-devant
baron de Bellerocaille, qui menait la cité à la famine.
    Était-ce la fin du préjugé ?
Une amorce en tout cas, se dit Léon en dépassant les douves (comblées) et la tour
flanquante dans laquelle avait été enfermé l’ancêtre fondateur. Lorsqu’il était
enfant, son père Hippolyte l’emmenait souvent dans les ruines du château,
concluant immanquablement ses promenades par une visite de la tour où avait été
enchaîné le premier des leurs, à l’époque où elle était encore prison
seigneuriale.
    — Regarde, Léon, regarde,
disait chaque fois Hippolyte, c’est par cette archère qu’il pouvait voir le
dolmen et la croisée du Jugement-Dernier.
    — Le bois Vergogne n’existait
pas ?
    — Non, ils l’ont fait pousser
exprès sous le Quatrième, pour qu’on ne nous voie plus de la ville.
    Passant sous la porte ouest,
conservée après que l’on eut démoli les fortifications pour permettre à la cité
de s’étendre, Léon franchit le Pont-Vieux et suivit un moment l’ancienne route,
délaissée depuis la construction en amont du pont de la République, puis il
bifurqua et s’enfonça dans le petit bois Vergogne ; bientôt la massive
silhouette du dolmen apparut entre les troncs d’ormes.
    Si la Grande Révolution avait fait
disparaître du carrefour les fourches patibulaires, les estrades du pilori et
des potences, mais aussi les gargotes et les marchands de souvenirs, l’oustal
du maître des lieux était toujours là, tapi derrière son haut mur hérissé de
lames de pertuisanes.
    Léon sortit du bois, contourna le
dolmen cerné par les pâquerettes et les herbes folles et engagea son cheval sur
le sentier menant au grand portail de pierres de taille surmonté du blason
familial et de son orgueilleuse devise : Dieu et nous seuls pouvons. De la
misère rougeâtre croissait dans les interstices des moellons de grès rose,
identiques à ceux de la cathédrale de Rodez.
    Il mit pied à terre et ouvrit l’un
des lourds vantaux, appréhendant les réflexions que l’absence d’Hortense ne
manquerait pas de susciter un jour comme celui-là. L’oustal apparut, en forme
de « U », flanqué de deux tours rondes et crénelées identiques,
elles, à celles encore debout du château.
    Tournant le dos à la cité, la façade
percée d’amples fenêtres donnait sur la cour pavée et le vaste parc
impeccablement emmurés. Au loin, au centre d’un bosquet de grands arbres, on
distinguait la chapelle romane sous laquelle avait été creusée la crypte
contenant les gisants en bronze des ancêtres. Celui de Justinien Premier,
l’ancêtre fondateur, était enchaîné à celui de Guillaumette, son épouse tant
aimée.
    Tirant son courtaud par la bride,
Léon franchit le porche reliant la tour sud à l’aile gauche de l’oustal, une
longue bâtisse au toit de lauze, compartimentée en une écurie, un fenil, une
remise pour les véhicules et une autre pour le matériel des hautes et basses
œuvres, dont la « mécanique » de

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