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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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cet impôt-surprise.
    Bien que Justinien n’eût droit qu’à
une poignée seulement de chaque chose, le butin était impressionnant. De fait,
la difficulté et l’incertitude des routes avaient multiplié le nombre des
échoppes, fabriques et ateliers venus s’installer à Bellerocaille. Depuis
toujours, le bourg produisait tout ce qui était nécessaire à la consommation de
ses citadins, bien sûr, mais aussi de ses paysans.
    Justinien déplia son couteau et
trancha un morceau de jambon fumé qu’il mangea en débouchant un flacon de vin
des tonneaux de l’abbaye des cordeliers. Même un idiot aurait compris qu’à
raison de trois ponctions hebdomadaires il allait se constituer en un temps record
une importante réserve qu’il pourrait soit monnayer, soit troquer.
    Le vin aidant, son optimisme prit le
dessus. Il s’imagina un an plus tard, refusant de signer le renouvellement de
sa commission, tirant sa révérence et partant pour Bordeaux muni d’une bourse
gonflée d’or. Il se vit clairement débarquer dans le Nouveau Monde et s’y
tailler un colossal empire. Même Dieu n’en reviendrait pas ! D’ailleurs il
serait si juste et tellement aimé de ses sujets que ceux-ci trancheraient le
nez de leur progéniture pour qu’elle lui ressemble.
    Il termina le flacon avec un fromage
de chèvre qu’il déclara « fort goûteux », puis ouvrit un deuxième
flacon et retourna au-dehors profiter des dernières lueurs du jour.
    Pris d’une subite inspiration, il
enflamma un à un tous les gros tas de broussailles arrachées par les
terrassiers, puis il s’installa sur l’échafaud et là, tel Néron sur son balcon
contemplant l’incendie de Rome, il admira les brasiers illuminer l’horizon en
dégageant une épaisse fumée blanche. Il s’imagina de nouveau empereur du
Nouveau Monde. Cette fois, il envahissait le Vieux Continent à la tête d’une
armée de Peaux-Rouges, puisque telle était la couleur des manants de là-bas (il
l’avait lu dans l’un des almanachs de papa Martin), et semait la terreur sur
son passage.
    Des bruits de galop le firent
tressaillir. Aucune honnête personne ne voyageait à cette heure tardive, ce ne
pouvaient donc être que des brigands qui en avaient à ses possessions. Le cœur
battant, il descendit en hâte de l’échafaud et s’agenouilla derrière l’escalier
en armant ses pistolets. Il tira en l’air et hurla aussi fort qu’il le
put :
    — Halte là ! N’avancez
plus sinon je vous décervèle !
    — Nous sommes le guet,
mordioux ! C’est toi, maraud, que nous allons décerveler si tu ne te
montres pas.
    Justinien risqua un œil et se
détendit en reconnaissant l’uniforme aux couleurs du baron. Il sortit de sa
cachette. Les cavaliers firent cercle autour de lui, leurs chevaux soufflant
fort des naseaux.
    — Ce ne sont que des feux de
broussailles, dit l’un des archers après inspection.
    — C’est pour ça que vous êtes
accourus ? s’étonna le jeune homme en souriant. Vous pensiez que j’avais
incendié ma « niche » !
    Il désigna la masse sombre de
l’échafaud.
    Les guetteurs des échauguettes du
château avaient été les premiers à voir les feux et à crier : « Ça
arde aux Quatre-Chemins ! » Le prévôt avait expédié une patrouille du
guet pour évaluer les dégâts.
    — Pourquoi cet
embrasement ? questionna roguement le sergent sans descendre de sa
monture.
    — Primo, je suis fonctionnaire de police comme vous, et à ce titre je vous prie
de vous montrer plus déférent à mon égard, ensuite je suis ici chez moi, au cas
où vous l’ignoreriez encore. J’allume donc les feux qui me chantent. Je ne vous
souhaite point la bonne nuit.
    Leur tournant le dos, il entra sans
se baisser sous l’échafaud mesurant une toise de haut. Comme la nuit était
tombée, il battit son briquet à silex et alluma plusieurs bougies à mèche de
coton. Dehors, les hommes du guet rebroussèrent chemin.
    Découpant une large tranche de
gigot, il la mangea sur du pain mouton, ce pain mollet à la croûte dorée au
jaune d’œuf et parsemée de grains de blé qu’Éponine cuisait chaque dimanche et
qu’il adorait… Il frémit à la pensée que Roumégoux n’était qu’à trois jours de
Bellerocaille, quatre pour les lambineurs. Tôt ou tard quelqu’un le
reconnaîtrait. Avec son nez, c’était obligé.
    Il but une longue rasade et tenta de
redevenir l’empereur de toutes les Amériques, mais le charme était rompu. Le
cri

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