Dissolution
Sa
Majesté ?
— Nous aimerions loger ici. Avez-vous des chambres pour
les hôtes de passage ?
— Bien sûr. Alice est en train d’en préparer une. Mais
la plupart des chambres ouvrant sur ce couloir sont occupées par des moines
âgés. On a souvent besoin de les soigner durant la nuit et vous risquez d’être
dérangés. En général, les visiteurs préfèrent habiter chez l’abbé.
— Nous aimerions mieux demeurer ici.
— À votre aise… Puis-je vous aider autrement ? »
Son ton était tout à fait respectueux mais, pour une raison ou une autre, ses
questions me donnaient le sentiment d’être un patient stupide à qui on demande
d’énumérer ses symptômes. Malgré son aspect étrange, l’homme avait beaucoup d’autorité.
« Je crois comprendre que vous avez la charge du corps
du défunt commissaire ?
— C’est bien ça. Il se trouve dans une crypte du
cimetière laïque.
— Nous aimerions le voir.
— Bien sûr. Entre-temps peut-être désirez-vous vous
laver et vous reposer après votre long voyage. Allez-vous dîner avec l’abbé
plus tard ?
— Non. Je pense que nous allons dîner au réfectoire avec
les moines. Mais je crois que nous allons d’abord prendre une heure de repos. À
propos de ce livre…, ajoutai-je, êtes-vous maure de naissance ?
— Je suis de Málaga, aujourd’hui en Castille, mais à l’époque
où je suis né cette ville faisait partie de l’émirat de Grenade. Quand Grenade
a été vaincue par l’Espagne, en 1492, mes parents se sont convertis au
christianisme, mais la vie n’a pas été facile. Nous avons fini par nous rendre
en France. Nous avons trouvé que la vie était plus aisée à Louvain, ville
cosmopolite. Leur langue était l’arabe, bien entendu. » Il sourit avec
douceur mais ses yeux noirs comme le charbon restaient perçants.
« Vous avez étudié la médecine à Louvain ? » J’étais
étonné car c’était l’école la plus prestigieuse d’Europe. « Nul doute que
vous devriez être attaché à la cour d’un grand seigneur ou d’un roi et non pas
exercer dans un monastère perdu.
— Certes, mais en tant que Maure espagnol, je souffre de
certains désavantages. Durant ces dernières années, j’ai virevolté de poste en
poste en France et en Angleterre, telle l’une des balles de jeu de paume de
votre roi Henri. » Il fit un nouveau sourire. « J’ai passé cinq ans à
Malton dans le Yorkshire et j’ai gardé le nom quand je suis arrivé ici, il y a
deux ans. Et s’il faut en croire la rumeur il se peut que je me retrouve
bientôt une fois de plus sur les routes. »
Je me rappelai que c’était l’un des obédienciers supérieurs
au courant de la réelle mission de Singleton. Comme je gardais le silence il
hocha la tête d’un air pensif.
« Bien. Je vais vous conduire à votre chambre et je
reviendrai vous chercher dans une heure pour que vous examiniez le corps du
commissaire Singleton. Il faut enterrer chrétiennement ce malheureux. » Il
se signa en soupirant. « L’âme d’un homme assassiné aura assez de mal à
trouver le repos, puisqu’il n’a pu se confesser ni recevoir les derniers
sacrements avant sa mort. Que Dieu fasse qu’aucun de nous ne connaisse un tel
sort ! »
8
N otre
chambre dans l’infirmerie était petite mais confortable. Elle était garnie de
lambris de bois et le sol venait d’être couvert de joncs odoriférants. Un feu
flambait dans l’âtre devant lequel on avait placé des sièges. Lorsque le frère
nous y fit entrer, Alice était en train de poser des serviettes à côté d’un
broc d’eau chaude. Le feu donnait à son visage et à ses bras nus une saine
couleur.
« J’ai pensé que vous aimeriez peut-être vous laver, messieurs »,
dit-elle avec déférence.
Je lui souris.
« C’est très gentil à vous.
— J’ai besoin de me réchauffer », fît Mark en lui
décochant un large sourire. Elle baissa la tête et le frère Guy fixa Mark d’un
air sévère.
« Merci, Alice, dit-il. Vous pouvez disposer. »
Elle fit une révérence et sortit.
« J’espère que la chambre vous paraîtra confortable. J’ai
fait prévenir l’abbé que vous alliez dîner au réfectoire.
— Elle nous conviendra parfaitement. Merci pour tout ce
que vous avez fait.
— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, Alice est à
votre service. » À nouveau il lança un regard perçant à Mark. « Mais
rappelez-vous, je vous prie, qu’elle est très
Weitere Kostenlose Bücher