Dissolution
rendez-vous à Singleton dans la cuisine, peut-être en lui promettant de
lui fournir des renseignements, puis l’a tué. Exécuté serait un terme plus
exact. Tout sent l’exécution. Il aurait été à l’évidence beaucoup plus facile
de le poignarder dans le dos.
— Il avait l’air d’un homme dur. Même si c’est difficile
d’en juger en regardant sa tête plantée comme ça sur le fond de la tombe. »
Il poussa un éclat de rire, un rien trop grinçant, et je compris que lui aussi
avait été affecté par la scène.
« Robin Singleton appartenait à une catégorie d’avocats
que je déteste. Le peu de droit qu’il connaissait était mal digéré. Il avait
fait son chemin à l’esbroufe et en jouant les gros bras, ainsi qu’en glissant
de l’or dans la bonne main au bon moment. Mais il ne méritait pas d’être tué de
cette horrible façon.
— J’avais oublié que vous aviez assisté à l’exécution de
la reine Anne Boleyn, l’année dernière, monsieur.
— J’aurais bien aimé l’oublier moi aussi.
— En tout cas, ça vous a permis d’apprendre certaines
choses. »
Je hochai tristement la tête, puis fis un sourire désabusé.
« Je me rappelle l’un de mes maîtres durant ma première
année d’études à l’École de droit, le professeur Hampton. Il nous enseignait à
analyser les preuves. Il disait ceci : « Dans n’importe quelle
enquête, quels sont les faits les plus marquants ? Aucun, hurlait-il
en réponse. Tous les faits sont marquants, chaque chose doit être
examinée sous tous les angles ! »
— Oh ! ne dites pas ça, monsieur ! On
risquerait de ne jamais partir d’ici. » Il s’étira en soupirant. « Je
pourrais dormir douze heures d’affilée, même sur cette vieille planche.
— Oh non ! il n’est pas question de dormir. Pas
pour le moment, en tout cas. Je veux rencontrer les membres de la communauté
pendant le dîner. Si on veut arriver à quelque chose, on doit connaître ces
gens. Allons, viens ! le repos n’existe pas pour les hommes au service de
lord Cromwell. » Je donnai un coup de pied dans le chariot à roulettes et
Mark poussa un hurlement en glissant sous mon lit.
**
Le frère Guy nous conduisit au réfectoire, nous faisant
longer de sombres couloirs puis monter un escalier. C’était une salle
impressionnante d’aspect, avec son haut plafond aux larges voûtes soutenues par
de gros piliers. Malgré ses vastes dimensions elle dégageait une impression de
confort, grâce aux tapisseries sur les murs et aux épaisses nattes de jonc
couvrant le sol. Dans un coin il y avait un grand pupitre merveilleusement
sculpté. Des candélabres garnis de nombreuses et grosses bougies jetaient une
chaude lumière sur deux tables portant de la belle vaisselle et de beaux
couverts. L’une des deux, dressée pour six personnes, était placée devant l’âtre
et l’autre, beaucoup plus longue, se trouvait plus loin. Des serviteurs de
cuisine s’activaient vivement, posant des pichets de vin et des terrines d’argent
dont le couvercle laissait échapper de délicieuses odeurs. J’examinai les
couverts de la table située le plus près du feu.
« Ils sont en argent, dis-je au frère Guy. Et les
assiettes aussi.
— C’est la table des obédienciers, celle des religieux
qui administrent le monastère, les moines ordinaires n’ont que de l’étain.
— Les gens du peuple ont des écuelles en bois », répliquai-je
au moment où l’abbé Fabian entrait d’un pas vif. Les serviteurs s’arrêtèrent
pour faire un salut et furent gratifiés de hochements de tête bienveillants en
retour. « Et l’abbé mange dans de la vaisselle en or, sans doute », murmurai-je
à Mark.
L’abbé s’approcha de nous, un sourire pincé sur les lèvres.
« On ne m’avait pas avisé de votre désir de dîner au
réfectoire. J’ai fait préparer du rôti de bœuf dans mes cuisines.
— Merci, mais nous allons dîner ici.
— À votre guise. » Il soupira. « J’ai suggéré
à messire Goodhaps qu’il se joigne à vous, mais il a refusé avec force de
quitter ma maison.
— Le frère Guy vous a-t-il dit que j’ai donné l’autorisation
de faire enterrer le commissaire Singleton ?
— Oui. Je vais annoncer la nouvelle avant le dîner. C’est
mon tour de faire la lecture. En anglais, en accord avec les injonctions, ajouta-t-il
d’un ton solennel.
— Fort bien. »
Il y eut un mouvement à la porte et les moines
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