Dissolution
commencèrent à
entrer l’un derrière l’autre. Les deux administrateurs que nous avions vus plus
tôt, le sacristain, le blond frère Gabriel et Edwig, l’économe brun, marchaient
côte à côte, sans parler, en direction de la table des obédienciers. Ils
formaient un étrange duo : l’un grand et blond, la tête légèrement courbée
en avant, l’autre avançant d’un pas assuré. Le prieur et les deux obédienciers
que j’avais rencontrés au chapitre, ainsi que le frère Guy, les rejoignirent. Les
autres moines se tenaient autour de la longue table. Je remarquai que le vieux
chartreux se trouvait parmi eux. Il me lança un regard venimeux. L’abbé se
pencha vers nous.
« Je me suis laissé dire que le frère Jérôme avait été
impoli tout à l’heure. Je vous présente mes excuses. Mais ses vœux l’obligent à
prendre ses repas en silence.
— Je crois comprendre qu’il loge ici sur la demande d’un
membre de la famille Seymour.
— Notre voisin, sir Edward Wentworth. Mais la
demande est venue d’abord du bureau de lord Cromwell. » Il me jeta un
regard en coin. « Il voulait que Jérôme soit gardé à l’écart, dans un lieu
isolé. En tant que parent éloigné de la reine Jeanne, il était quelque peu
gênant. »
Je hochai la tête.
« Depuis combien de temps est-il ici ? »
L’abbé lança un coup d’œil au visage renfrogné du frère
Jérôme.
« Dix-huit longs mois. »
Je parcourus des yeux l’assemblée des moines qui m’épiaient d’un
air gêné, comme si j’étais un étrange animal placé au milieu d’eux. Je
remarquai qu’ils étaient presque tous d’âge mûr ou déjà vieillissants. Il n’y
avait guère de visages jeunes et trois religieux seulement portaient la tenue
des novices. Un vieux moine, dont la paralysie agitante faisait trembler la
tête, se signa à toute vitesse en m’examinant.
Mon attention fut attirée par une silhouette qui hésitait sur
le pas de la porte. Je reconnus le novice qui s’était occupé de nos chevaux
plus tôt. Il se balançait d’un pied sur l’autre, tenant quelque chose derrière
son dos. Le prieur Mortimus leva les yeux vers lui depuis sa table.
« Simon Whelplay ! s’écria-t-il d’un ton cassant. Votre
pénitence n’est pas terminée. Vous n’aurez rien à manger ce soir. Reprenez
votre place dans votre coin. »
Le jeune homme baissa la tête et traversa la pièce pour
gagner le coin le plus éloigné du feu. Il ramena ses mains devant lui et je vis
qu’il tenait un bonnet de fou pointu, la lettre M tracée dessus au pochoir. Il
le mit en rougissant. Les autres moines ne lui prêtèrent guère attention.
« “M” ? demandai-je.
— Pour maleficium, dit l’abbé. Je crains qu’il n’ait
enfreint le règlement. Asseyez-vous, je vous prie, monsieur. »
Mark et moi nous assîmes à côté du frère Guy, tandis que l’abbé
se dirigeait vers le pupitre. Je vis qu’une bible était posée dessus et je
constatai avec joie qu’il s’agissait de la Bible anglaise et non de la vulgate
en latin contenant des erreurs de traduction et des évangiles inventés.
« Mes frères, commença l’abbé Fabian d’une voix de stentor,
nous avons tous été extrêmement bouleversés par les récents événements. J’ai le
plaisir d’accueillir l’émissaire du vicaire général, le commissaire Shardlake, qui
est venu enquêter à ce sujet. Il va s’entretenir avec un grand nombre d’entre
vous et vous devrez lui fournir toute l’aide que mérite l’envoyé de lord
Cromwell. » Je le fixai d’un œil dur. Ces paroles étaient à double sens.
« Messire Shardlake ayant donné l’autorisation d’enterrer
le commissaire Singleton, l’office funèbre sera célébré après-demain, après les
matines. » Un murmure de soulagement courut le long des tables. « Et
maintenant notre lecture est extraite du chapitre 7 de l’Apocalypse :
« Après cela, je vis, debout aux quatre coins de la terre, quatre anges… » »
Je fus surpris qu’il ait choisi l’Apocalypse, car c’était un
texte dont raffolaient certains réformateurs, les ardents évangélistes qui
voulaient à tout prix informer le monde qu’ils avaient sondé ses mystères et
ses violents symboles. Le passage traitait de la liste des élus donnée par le
Seigneur le jour du Jugement dernier. C’était comme un défi qu’il me lançait en
identifiant les membres de la communauté aux élus.
« “Et il me dit : Ce
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