Dissolution
me fit sortir de l’église
sans rien ajouter.
**
Dehors, la lumière blanche et glaciale me fit pleurer les
yeux. Déjà haut dans le ciel, le soleil répandait une clarté éblouissante mais
sans chaleur. On avait dégagé de nouveaux chemins dans la neige et les moines
avaient repris leurs activités, les soutanes noires sillonnant en tout sens l’étendue
immaculée.
Le bâtiment de la bibliothèque, à côté de l’église, était
étonnamment vaste. Les flots de clarté entrant par les hautes fenêtres
illuminaient des étagères bourrées de livres. Les pupitres n’étaient pas
occupés, sauf par un novice se grattant la tête au-dessus d’un épais volume et
un vieux moine qui copiait un manuscrit dans un coin.
« Ils ne sont pas nombreux à étudier, dis-je.
— La bibliothèque est souvent vide, répondit le frère
Gabriel d’un ton de regret. Si un frère veut consulter un livre il l’emporte
généralement dans sa cellule. » Il se dirigea vers le vieux moine. « Ça
avance, Stephen ? »
Le moine nous regarda en plissant les yeux.
« Lentement, frère Gabriel. » Je jetai un coup d’œil
à son travail. Il recopiait une bible très ancienne, où les lettres et les
figures peintes à côté du texte étaient travaillées dans le moindre détail, les
couleurs lumineuses sur l’épais parchemin à peine pâlies malgré les siècles
écoulés. Mais la copie du moine était fort médiocre, les couleurs criardes, et
les lettres de véritables pattes de mouche. Le frère Gabriel lui tapota l’épaule.
« Nec aspera terrent, mon frère », lui dit-il, avant de se
tourner vers moi. « Je vais vous montrer l’illustration représentant la
main de Barabbas. »
Il me conduisit au premier par un escalier à vis. Il y avait
là encore des livres, d’innombrables étagères chargées de volumes anciens. Une
épaisse couche de poussière recouvrait tout.
« Voici notre collection. Certains de nos ouvrages sont
des copies d’œuvres grecques et romaines, faites à une époque où la copie était
un art. Il y a cinquante ans seulement, les pupitres en bas auraient tous été
occupés par des frères en train de copier des livres. Mais depuis l’invention
de l’imprimerie personne ne veut d’ouvrages enluminés. Les gens se contentent
de ces livres bon marché dont les affreuses lettres carrées sont entassées les
unes sur les autres.
— Les livres imprimés sont peut-être moins beaux mais
désormais la parole de Dieu peut atteindre tout le monde.
— Mais peut-elle être comprise par tous ? rétorqua-t-il
d’un ton vif. Sans les illustrations et l’art qui stimulent le respect et l’adoration
de Dieu ? » Il prit un ouvrage ancien sur une étagère et l’ouvrit, toussant
au milieu de la poussière qui s’envola alors des pages. De petites créatures
peintes y dansaient comme des lutins parmi les lignes d’un texte grec.
« Une copie de Sur la comédie, l’œuvre perdue d’Aristote
paraît-il… C’est un faux, bien sûr, fabriqué en Italie au XIII e siècle,
mais très beau malgré tout. » Il le referma, puis se tourna vers un énorme
volume qui partageait une étagère avec plusieurs plans roulés. Il enleva ces
derniers et j’en pris un pour l’aider. À ma grande stupéfaction, il me l’arracha
des mains.
« Non ! N’y touchez pas ! »
Je haussai le sourcil. Il rougit.
« Veuillez m’excuser… Je… ne voudrais pas que vous
salissiez vos vêtements, monsieur.
— De quoi s’agit-il ?
— D’anciens plans du monastère. Le maçon les consulte de
temps en temps. » Il retira le livre se trouvant au-dessous. Il était si
volumineux qu’il eut du mal à le transporter jusqu’au bureau. Il tourna les
pages avec soin.
« C’est une histoire illustrée des trésors du monastère,
écrite il y a deux siècles. » J’aperçus des images en couleurs de statues
que j’avais vues dans l’église et d’autres objets comme le pupitre du
réfectoire, chaque dessin accompagné de mesures et d’un commentaire en latin. Les
pages centrales étaient occupées par une illustration en couleurs d’un grand
reliquaire carré incrusté de joyaux. À travers un panneau de verre on
apercevait un morceau de bois noir posé sur un coussinet pourpre. Une vieille
main ratatinée, chaque tendon et chaque nerf parfaitement visibles, y était
fixée par un clou à large tête planté dans la paume. Selon les mesures
indiquées, le coffret avait deux pieds
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