Dissolution
tête évasivement. Il reprit avec une certaine
ardeur :
« Notre vie consacrée à la prière et à l’adoration de
Dieu constitue un effort pour nous approcher de Jésus-Christ, de Sa lumière et
pour nous éloigner du monde des pécheurs. Chaque prière, chaque messe
représentent une tentative pour nous rapprocher de Lui. Chaque statue, chaque
rituel, chaque morceau de vitrail nous rappellent Sa gloire, nous soustraient
aux maléfices du monde.
— Je constate que c’est ce que vous pensez, mon frère.
— Notre existence est plus douillette qu’elle ne devrait
l’être, je le sais. Les vêtements confortables et la bonne chère ne
correspondent pas à ce qu’avait prévu saint Benoît. Mais nous poursuivons le
même but.
— Chercher à communier avec Dieu ? »
Il plongea son regard dans le mien.
« Ce n’est pas facile. Ceux qui disent le contraire ont
tort. L’humanité pécheresse est travaillée par nombre de mauvaises impulsions, placées
en nous par le démon. Ne croyez pas que les moines soient épargnés, monsieur. Il
m’arrive de penser que plus nous cherchons à nous rapprocher de Dieu, plus le
démon s’acharne à nous tenter. Et plus il nous faut lutter contre lui.
— Et voyez-vous qui aurait pu être poussé à commettre un
meurtre ? demandai-je d’une voix calme. Rappelez-vous que je m’exprime
comme émissaire du vicaire général et que par son intermédiaire je représente
le chef suprême de l’Église, Sa Majesté le roi.
— Je ne vois pas qui dans notre communauté aurait pu
commettre un tel acte. Sinon, j’en aurais informé l’abbé. Je le répète, je
pense que le coupable venait de l’extérieur. »
J’opinai de la tête.
« Mais on a parlé d’autres graves péchés commis ici, n’est-ce
pas ? Il y a eu le scandale à l’époque de l’ancien prieur. Et les petits
péchés peuvent en entraîner de plus graves. »
Son visage s’empourpra.
« Entre… ces choses et l’acte qui a été commis la
semaine dernière il y a un fossé. Et tout cela, c’est du passé. » Il se
leva d’un bond et alla se poster quelques pas plus loin.
Je me levai à mon tour et me plaçai à côté de lui. Il avait
les traits crispés et le front luisant de sueur malgré le froid.
« Pas tout à fait dans le passé, mon frère. L’abbé m’a
dit que le châtiment de Simon Whelplay était dû en partie à certains sentiments
qu’il nourrissait envers un autre moine. Vous-même. »
Il se tourna vers moi, me parlant soudain avec animation.
« Ce n’est qu’un enfant ! Je n’étais pas
responsable des péchés qu’il envisageait de commettre dans sa pauvre cervelle. Je
n’étais même pas au courant jusqu’à ce qu’il se confesse au prieur Mortimus, car
alors j’y aurais mis bon ordre. Et oui, j’ai eu des rapports avec des hommes, mais
je me suis confessé et repenti, et je n’ai plus jamais péché de cette façon. Voilà,
monsieur le commissaire, vous avez sondé mon passé. Je sais que les bureaux du
vicaire général adorent ce genre de ragots.
— Je ne recherche que la vérité. Je ne troublerais pas
votre âme pour le simple plaisir de me divertir. »
Il parut sur le point d’ajouter quelque chose puis, se
ravisant, il prit une profonde inspiration.
« Souhaitez-vous voir la bibliothèque maintenant ?
— Oui, s’il vous plaît. »
Nous regagnâmes la nef.
« Au fait, repris-je après avoir fait quelques pas en
silence, j’ai vu la grande lézarde sur un mur latéral de l’église. Ce serait
une réparation vraiment très importante. Le prieur ne donne pas son aval au
débours nécessaire ?
— Non. Le frère Edwig soutient que tout programme de
réfections doit entrer dans le cadre des revenus annuels disponibles. Cela
permettra à peine d’empêcher les dommages de s’étendre.
— Je vois. » Dans ce cas, pensai-je, pourquoi le
frère Edwig et l’abbé affirmaient-ils qu’ils avaient besoin de vendre des
terres pour faire rentrer des fonds ?
« Ceux qui tiennent les cordons de la bourse pensent
toujours que ce qui est moins cher est meilleur, continuai-je avec philosophie.
Ils font des économies de bouts de chandelles jusqu’à ce que tout s’effondre
autour d’eux.
— Le frère Edwig croit que faire des économies constitue
un devoir sacré, renchérit-il avec amertume.
— Ni lui ni le prieur n’ont l’air de beaucoup s’adonner
à la charité. »
Il me décocha un regard pénétrant et
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