Dissolution
moment-là la porte de l’escalier de nuit s’est ouverte brusquement
et un moine est entré en courant pour nous informer qu’on avait découvert le
corps du commissaire assassiné. On est tous sortis ensemble de l’église.
— Vous vous êtes alors rendu compte de la disparition de
la relique ?
— Non, plus tard. Je suis passé devant le sanctuaire
vers onze heures et c’est seulement alors que j’ai constaté qu’elle avait
disparu. Mais le vol avait dû avoir lieu au même moment.
— C’est possible. Vous avez dû vous-même arriver par l’escalier
de nuit qui relie le dortoir des moines à l’église. Cette porte est-elle fermée
à clef ?
— Bien sûr. C’est moi qui l’ai ouverte.
— Par conséquent, la personne qui a profané l’église est
obligatoirement entrée par la porte principale qui, elle, n’est pas verrouillée ?
— En effet. Nous tenons beaucoup à ce que les serviteurs,
les visiteurs et les moines puissent entrer dans l’église chaque fois qu’ils le
désirent.
— Et vous êtes arrivé peu après cinq heures. Vous en
êtes certain ?
— Cela fait huit ans que j’accomplis cette tâche.
— L’intrus œuvrait donc dans une demi-obscurité lorsqu’il
a répandu le sang de la volaille et – sans doute – dérobé la relique. La
profanation et l’assassinat de Singleton ont été perpétrés entre quatre heures
et quart, heure à laquelle Bugge a rencontré le commissaire, et cinq heures, lorsque
vous êtes entré dans l’église. Cette personne, qui que ce soit, a agi
rapidement. Cela signifie qu’elle connaissait la disposition de l’église. »
Il me fixa intensément.
« C’est tout à fait vrai.
— Et les villageois ne suivent pas la messe dans les
églises des monastères. Quand les laïcs assistent à des fêtes particulières ou
viennent prier devant les reliques, ils n’ont pas le droit de franchir le jubé,
n’est-ce pas ?
— Non. Seuls les moines ont le droit de pénétrer dans le
chœur et de s’approcher du maître-autel.
— Ainsi donc, seul un moine connaîtrait ces rituels et
la disposition du bâtiment. Ou bien un serviteur travaillant ici… comme cet
homme qui déambule dans l’église pour allumer des bougies. »
Il prit un air grave.
« Geoffrey Walters a soixante-dix ans et est sourd. Les
serviteurs de l’église sont tous ici depuis des années. Je les connais bien et
il est inconcevable que l’un d’entre eux ait commis une telle vilenie.
— Alors cela ne nous laisse que l’un des moines… L’abbé
Fabian et votre ami l’économe soutiennent que le coupable venait de l’extérieur.
Je ne peux être d’accord.
— Je pense qu’on ne peut écarter cette hypothèse, fit-il
d’un ton hésitant.
— Je vous écoute…
— Certains matins, au cours de cet automne, j’ai aperçu
des lumières dans les marais. Ma chambre donne dessus. Je crois que les
contrebandiers ont repris du service.
— L’abbé a bien parlé de contrebandiers, mais je croyais
que les marais étaient dangereux.
— Oui, mais il existe des sentiers connus des
contrebandiers qui passent par l’îlot surélevé, où se trouvent les ruines de l’église
des fondateurs, vers la rivière. On peut y charger des bateaux de laine de
contrebande à destination de la France. L’abbé se plaint de temps en temps
auprès des autorités de la ville, mais peu leur chaut. Certains édiles
profitent sans aucun doute de ce commerce…
— Donc, quelqu’un connaissant ces sentiers aurait pu
pénétrer dans le monastère et en sortir cette nuit-là ?
— Ce n’est pas impossible. À cet endroit-là, le mur d’enceinte
est en très mauvais état.
— Avez-vous signalé à l’abbé que vous aviez aperçu des
lumières ?
— Non. Comme je l’ai dit, il a cessé de se plaindre. J’ai
été trop meurtri pour avoir les idées claires, mais maintenant… » Son
visage s’anima. « Voilà peut-être la réponse ! Ce sont des gens sans
foi ni loi et une chose peut mener à une autre, même au sacrilège…
— Évidemment, la communauté serait ravie de rejeter la
culpabilité sur quelqu’un d’autre. »
Il se tourna vers moi, les traits crispés.
« Messire Shardlake, il se peut que vous considériez nos
dévotions et nos prières aux reliques des saints comme des cérémonies stupides,
célébrées par des hommes qui ont la vie facile pendant que le monde extérieur
souffre et geint… »
J’inclinai la
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