Dissolution
carpes scintillant dans l’eau
jonchée de roseaux.
Comme je me redressais, quelque chose d’autre accrocha mon
regard, un faible éclat jaunâtre tout au fond. Intrigué, je me penchai derechef.
Ne parvenant pas tout de suite à repérer la chose que j’avais cru voir parmi
les roseaux, je me demandai s’il s’agissait d’un jeu de lumière, mais je l’aperçus
à nouveau. Je m’agenouillai, la neige me brûlant les mains, et scrutai l’étang.
Il y avait bien une plaque jaune sur le fond. Le reliquaire était en or et
beaucoup d’épées coûteuses possèdent des poignées dorées. Cela valait la peine
de chercher à savoir de quoi il retournait. Je frissonnai. Je n’avais aucune
envie d’affronter ces profondeurs glaciales pour le moment, mais je pourrais
revenir plus tard en compagnie de Mark. Je me relevai, brossai la neige de mes
vêtements, puis, m’emmitouflant dans mon manteau, pris la direction du portail.
Le mur, éboulé à deux endroits, avait été irrégulièrement et
grossièrement réparé. Détachant le trousseau de clefs de ma ceinture, j’en
trouvai une qui s’adaptait à l’antique et lourde serrure. Le portail pivota sur
ses gonds en grinçant et je sortis dans un sentier étroit qui longeait le mur, le
terrain s’affaissant tout au bord, à quelques pouces seulement du marécage. Je
ne m’étais pas rendu compte que celui-ci commençait si près. De temps en temps,
le sentier s’interrompait lorsque la vase avait atteint le mur qu’elle délitait,
à tel point qu’on avait dû le reconstruire. Il était encore plus médiocrement
réparé à l’extérieur. À certains endroits un homme agile n’aurait eu aucun mal
à escalader cette paroi pleine d’aspérités. « Tudieu ! »
marmonnai-je, car désormais je ne pouvais plus du tout écarter cette
possibilité.
Je parcourus du regard les marais. Couverts de neige, parsemés
d’épais bouquets de roseaux et de flaques stagnantes gelées, ils s’étendaient
sur environ un demi-mille jusqu’au large ruban de la rivière dont les eaux
fluides réfléchissaient le ciel bleu. Au-delà, le terrain remontait jusqu’aux
bois fermant l’horizon. Tout était calme. Les seuls signes de vie étaient deux
oiseaux de mer sur la rivière. Comme je les contemplais, ils prirent leur envol
en poussant leurs cris mélancoliques vers les deux glacials.
À mi-chemin entre la rivière et l’endroit où je me trouvais s’élevait
un gros tertre, une île entourée de marais. Elle était couronnée d’un amas de
ruines basses. Ce devait être le lieu où, selon le frère Gabriel, s’étaient
établis les premiers moines. Curieux, et m’appuyant avec précaution sur mon
bâton, je posai mon pied hors du sentier. À ma grande surprise, le sol sous la
neige se révéla ferme. Je descendis l’autre pied et fis un pas en avant. Là
encore le terrain était solide. Mais il ne s’agissait en fait que d’un mince
tapis d’herbe gelée et soudain la vase clapota sous mon pied. Poussant un cri, je
laissai choir mon bâton. Ma jambe était aspirée lentement par une sorte de boue
visqueuse. Je sentis la bourbe et l’eau glaciale s’infiltrer dans mon
protège-chaussure et dégouliner le long de mon tibia.
J’agitai les bras frénétiquement pour garder l’équilibre, horrifié
à l’idée de tomber à plat ventre dans ce bourbier. Mon pied gauche reposait
toujours sur la terre ferme et je tentai de me redresser de toutes mes forces, redoutant
qu’il ne traverse lui aussi une croûte dure et s’enfonce dans quelque abîme
inconnu. Mais le terrain ne céda pas et, couvert de sueur à cause de l’effort
et de la peur, je réussis à extirper peu à peu l’autre jambe, noire de boue. Un
gargouillis et un bruit de succion montèrent de la vase qui dégageait une odeur
de fosse d’aisances. Je fis un pas en arrière et m’affalai sur le sentier, le
cœur cognant dans ma poitrine. Mon bâton gisait sur le marécage, mais je n’envisageai
pas d’aller le récupérer. Regardant ma jambe dans sa chape de boue nauséabonde,
je me traitai d’imbécile. Il eût été intéressant de voir l’expression de lord
Cromwell en apprenant que le commissaire qu’il avait choisi avec tant de soin
avait bien bravé les mystères et les dangers de Scarnsea mais s’était noyé en
tombant dans un bourbier.
« Tu n’es qu’un nigaud ! » m’exclamai-je.
Un bruit derrière moi me fit me retourner vivement. Le
portail était ouvert et le
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