Dissolution
Je pense que c’est le diable lui-même qui
nous a envoyé ce temps-là. Avez-vous assez chaud au monastère ?
— Les moines font du feu dans toutes les pièces.
— Oh ! je n’en doute pas, monsieur. Je n’en doute
pas le moins du monde. »
Il nous fit longer le corridor jusqu’à une pièce confortable
donnant sur la rue. Il enleva des papiers posés sur des tabourets devant l’âtre.
« Permettez-moi de vous servir un peu de vin à tous les
deux. Veuillez excuser le désordre, mais la paperasse que je reçois de Londres…
le salaire minimum, les lois sur les indigents…, soupira-t-il. Et l’on me
demande de fournir des comptes rendus sur le moindre murmure fleurant la
trahison. Dieu soit loué ! il n’y en a guère à Scarnsea, mais il arrive
que mes informateurs les fabriquent et je suis alors contraint d’enquêter sur
des propos qui n’ont jamais été prononcés. Cela force au moins les gens à
comprendre qu’ils doivent faire attention.
— Je sais que cela facilite le sommeil de lord Cromwell
de savoir qu’il existe des hommes aussi fidèles que vous dans les divers comtés. »
Copynger opina gravement du chef en entendant ce compliment. Je bus une petite
gorgée de vin. « Il est excellent, monsieur, merci. Bon, le temps presse. Il
y a certains sujets sur lesquels j’aimerais recevoir quelques éclaircissements.
— Je suis à votre entière disposition. Le meurtre de
messire Singleton constitue un crime de lèse-majesté. Il crie vengeance. »
J’aurais dû apprécier la compagnie d’un réformateur comme je
l’étais moi-même, mais j’avoue que Copynger ne me plut guère. Certes, les juges
étaient de plus en plus chargés par Londres de tâches s’ajoutant à leurs
missions juridiques, mais ils en tiraient néanmoins bien des bénéfices. Les
juges ont toujours profité de leurs fonctions et, même dans une ville pauvre, davantage
de travail signifiait davantage de revenus, comme l’attestait la richesse de
Copynger. Son grand train jurait avec sa mine pieuse et austère. Mais il s’agissait
de la nouvelle sorte d’homme que nous créions alors en Angleterre.
« Dites-moi, comment considère-t-on les moines en ville ?
— On les déteste parce que ce sont de vraies sangsues. Ils
ne font rien pour Scarnsea. Ils ne descendent en ville que s’ils y sont obligés
et alors ils se montrent fiers comme Lucifer. Leurs aumônes sont minuscules et
les miséreux doivent, en outre, monter à pied au monastère pour les recevoir le
jour de la distribution. Cela oblige les contribuables à subvenir en grande
partie aux besoins des nécessiteux.
— Ils ont le monopole de la bière, me semble-t-il.
— Et ils en demandent un prix exorbitant. Leur bière est
un infect breuvage, des poules nichent dans leur brasserie et lâchent des
fientes dans le moût.
— Oui. Je l’ai constaté. Ça doit, en effet, avoir un
goût atroce.
— Et personne d’autre n’a le droit de vendre de la bière. »
Il écarta les bras tout grand. « Ils saignent à blanc leurs terres. Ne
croyez surtout pas que les moines sont des propriétaires accommodants ! Les
choses ont empiré depuis que le frère Edwig occupe le poste d’économe. Il
écorcherait une puce pour lui extraire la graisse du cul.
— Oui, je suppose qu’il en serait tout à fait capable. En
parlant des finances du monastère, vous avez fait savoir à lord Cromwell qu’on
avait vendu des terres à un prix en dessous de leur valeur. »
Il prit un air penaud.
« Je crains de n’avoir aucune précision là-dessus. J’avais
entendu des rumeurs, mais depuis qu’on a appris que j’avais lancé une enquête, les
gros propriétaires terriens évitent de me parler de leurs affaires.
— Qui sont-ils ?
— Le plus important ici, c’est sir Edward Wentworth. Il
est très intime avec l’abbé, bien qu’il soit allié aux Seymour. Ils chassent
ensemble. Les métayers ont fait courir la rumeur que des terres appartenant au
monastère lui ont été vendues en secret et que le régisseur de l’abbé touche
désormais les baux pour le compte de sir Edward, mais je n’ai aucun moyen de m’en
assurer, puisque ce n’est pas de ma compétence. » Il fronça les sourcils d’un
air courroucé. « Et le monastère possède des terres partout, même en
dehors du comté. Je suis désolé, monsieur le commissaire. Si mes pouvoirs
étaient accrus… »
Je réfléchis un bref instant.
« Peut-être cela ne fait-il
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