Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
a certainement bien coûté, tout en ayant feint, cette fois, de l’apprendre par sa bouche, je tends la main :
— Permettez , dis-je, si monsieur de Tolède n’y voit pas d’inconvénient, je dois payer un aimable citoyen qui accepta de garder ma cape, mon feutre et ma servante. Cette pièce le rétribuera.
— Ce qui est à moi vous appartient, dit Amadéor en s’inclinant.
Nous allons tous trois quitter la place, et nous entretenir à l’écart, car les affaires reprennent . Je quitte un instant mes compagnons revenus dans le rang, par la force des choses, et je vaisretrouver ces attributs de ma propriété. Comme convenu, je laisse au marchand cette belle pièce, un florin, en gage de remerciement. Mais le marchand me la rend. Il ne croit pas que j’ai pu le rouler, je suis trop grand seigneur avec la bonne main, mais j’aurais pu l’obtenir récemment par inadvertance.
— Gardez-la. Ce genre de monnaie ne paye rien, mais elle peut vous rendre quelques services à l’occasion. Je ne joue guère et m’est avis qu’elle pourrait vous être utile.
Le marchand n’en veut pas d’autre, il me salue avec le sourire.
Je regarde la pièce et je comprends.
C’est une pièce à double face.
Malgré ses airs insolents et son attitude cavalière, je soupçonne l’aventurier don Juan de Tolède d’être en effet quelquefois sentimental et parfois même… conservateur. Nul doute que cette fausse pièce est celle que lui remit, seize ans plus tôt, Tancrède de Gaillusac, avant de passer l’onde noire, cette pièce grâce à laquelle Jean Hackard de La Hache put obtenir un autre faux : ces lettres de noblesse que monsieur de Tréville refusa d’authentifier.
Double face.
Face, c’eût été le duel contre Edmond de Villefranche.
Puisque tout est cercle, ce qui clôt le début revient à la toute fin.
Mise au point
— Monsieur de Villefranche, dit don Juan de Tolède, ce que nous nous apprêtions à faire à l’ombre, nous devons l’accomplir au grand jour. Comme le disait d’Artagnan, ces égraineurs de chapelets veulent chanter leurs litanies au beau milieu de votre cortège funèbre. Donnons-leur satisfaction. Exauçons leur prière, et ne laissons planer aucun doute : vous n’avez pas été la victime d’un attentat, non, vous êtes mort dans le respect des traditions : touché par une estocade imparable. Vous avez rejoint ce frère que vous n’avez pu venger.
Edmond de Villefranche se raidit, il n’apprécie guère que l’on vienne retourner le poignard dans la plaie. Mais l’aventurier a un plan. Il faut lui obéir et lui laisser la direction des opérations.
— Mais Hercule ? demande le gentilhomme, qu’advient-il de lui ? Qui veillera à sa protection ?
Don Juan de Tolède doit dire toute la vérité. Edmond de Villefranche se révolte. Il ne conçoit pas que l’on puisse le laisser aux mains de cette femme. Mais l’aventurier finit par le convaincre. Desdémone est tenue sous bonne garde. Il faut encore lui faire confiance. Après tout, même s’il fut absent, don Juan reste son père, il fait valoir ses droits et Edmond doit fléchir. La discussion est close.
Les duellistes s’isolent et répètent la partition de leur combat qui doit être réglé comme du papier à musique. Cela fait, il faut encore songer aux accessoires. Nous devons prélever du sang et garder à disposition un véhicule de transport. Cette fois, c’est Edmond qui tend le bras. Don Juan procède à la saignée, il semble avoir fait cela toute sa vie. Le liquide est ensuite répandu sur la poitrine du gentilhomme, il imbibe sa chemise. De mon côté, je vais monnayer l’achat d’une charrette. Celle d’un livreur, avec toutes ses marchandises, payées au double de leur valeur, j’en deviens le maître, le conducteur.
Tout est en place.
Ne reste qu’à trouver le lieu. Il doit être à la fois public et relativement protégé. Il ne s’agit pas de se donner en spectacle, de braver les interdits avec provocation. L’affrontement se déroulera rue des Fauconniers. L’emplacement choisi, il faut encore soudoyer des témoins, qui auront pour mission de crier la nouvelle, de faire circuler le nom du coupable, ainsi que celui de la victime. Un seul suffira. Mieux vaut un émissaire de confiance. Bastoche m’a donné une adresse où le joindre, je m’y présente, chapeau bas, recouvert de ma cape, sous ce faux nom de Jean Lavoie comme convenu. On me fait patienter. Quelques
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