Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
comme le pire.
La nuée a crevé.
Cette fuite pourrait-elle être salutaire à l’avenir du royaume, à la destinée du peuple de France ?
L’âme se fortifie dans l’épreuve et le dénuement. Le froid réveille l’esprit pourvu qu’il n’engourdisse pas le cœur. Loin de son palais, de sa cour trompeuse, flatteuse et brillante, ce prince qui peut tout devenir encore songera-t-il un instant à ce troupeau dont il a la garde ? Cette retraite forcée et sans doute humiliante, l’arrachant à l’orgueil de son rang, n’est-elle pas au fond davantage une bénédiction qu’un affront ?
Semblable au double portrait de Janus, le malheur a deux faces. Qui le retourne voit son envers : une faveur. Là-haut, dans sa tour d’ivoire, sans jamais voir le monde de plus bas, ce jeune roi eût poussé comme les autres : de travers.
Le château de Saint-Germain, si royal soit-il, n’a que ses murs pour abriter du vent. Il est un refuge et un siège de réflexion… Pour un homme ou un enfant.
Mais un roi est un gentilhomme, le premier de la cour. Or un gentilhomme offensé ne travaille, par nature et par principe, qu’à une chose, au mépris de ses autres devoirs et des conséquences de son geste : laver son nom, avoir le dernier mot, tirer vengeance.
Un nuage de tabac s’évapore dans la pièce. Hélas, si d’Artagnan se révèle idéaliste en secret, sa foi en l’espérance, en un monde meilleur, s’est émoussée au contact des intrigues et des jeux du pouvoir.
Où ai-je mis les pieds ? songe-t-il encore, en repensant à cette aventure passée qu’il ressuscite pour le plaisir du roi.
Dans son esprit, tout un tumulte refait surface, un roman d’aventure qui ne dura que quelques semaines mais suffirait à remplir une existence entière. Mille coups d’épée, des rencontres inoubliables, des révélations si inattendues, l’ombre de l’échafaud, les verrous de la Bastille… Des images, des scènes reviennent à sesyeux, des voix à ses oreilles : la lumière et les ombres d’une comédie picaresque aux accents tragiques.
D’Artagnan est si absorbé qu’il n’a pas senti le cardinal s’approcher.
Le guide spirituel et le maître d’armes
— Eh bien, chevalier, dites-moi maintenant que vous voilà revenu, quels sont donc ces événements que vous ranimâtes pour enchanter le roi ?
Mieux vaut ne pas mentir.
D’Artagnan soupire et sourit en même temps.
— Hélas, monseigneur, des événements brûlants. Après cinq ans que nous eûmes tenté d’étouffer le feu, il fume encore, couvrant Paris d’un brouillard d’illusions. Cette fumée plus que jamais sent la poudre. Elle pique le nez et réveille le sang. L’affaire des Importants.
Le cardinal se frotte les mains. Il regarde devant lui quelques flammes mourantes s’élever encore, le peu de bois qu’on avait devenu braise.
— Diable ! J’eusse mieux aimé vous savoir sur d’autres routes.
— J’entends, monsieur le cardinal. Comme vous, je maudis ce choix qui n’est pas le mien. J’avais pourtant sous le manteau de quoi égarer la curiosité. Mais le roi n’est pas un enfant d’une étoffe ordinaire. Il a la vue perçante et l’intelligence d’un stratège. Il me prit par les sentiments en pointant son doigt sur ce sujet sensible. Que faire ? Obéir.
Mazarin se rapproche de d’Artagnan et baisse légèrement la voix.
— Vous voilà lancé… Impossible de rebrousser chemin. Car enfin, vous n’êtes parvenu…
— … Qu’aux premières scènes du drame. Un tel morceau ne se livre pas d’une traite.
— Ainsi… Vous souhaitez exposer toute l’intrigue ?
— J’invite Votre Éminence à la confiance. Si Sa Majesté commande la destination, je reste maître de l’itinéraire. Je me fais une gageure de ne point sortir de la grande traverse, quand bien même…
— … Serait-il tentant de briser la monotonie du trajet en suivant la pente d’un sentier plus aimable… Sous l’ombre des arbres.
— Dieu m’en garde !
— Dans ce cas, j’espère que vous ferez bonne route, sous un ciel clément, sans que la chaleur soit accablante.
— Pour l’heure, voilà le roi bercé. Je l’ai vu retrouver le sourire. Il va dormir en paix, pour quelques heures.
— C’est bien. Au fond, prenons-en notre parti et réjouissons-nous que le roi veuille en savoir davantage. Il n’est pas trop jeune pour dévisager la vérité et nous ne sommes pas trop de deux pour l’instruire. Vous compléterez mon influence.
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