Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Main-gauche, se fait distancer. Une fois encore, l’oiselle va plus vite que le loup. Du reste, aujourd’hui plus que de coutume, le loup est chargé de maux et de griefs, son cœur est lourd comme un boulet de plomb.
La cavalière tourne le front. À force de talonner sa monture, son compagnon va tout de même finir par la rattraper. Soit. Cettefois, Margaux reprend les rênes d’une main ferme, elle se couche en avant et fait jouer ses éperons. Elle se dirige vers un chemin de traverse au cœur des bois. Le feu aux joues, la cavalière multiplie les risques. Les sabots de sa jument noire font voler des mottes de terre, des gerbes d’eau. Elle franchit des fossés, traverse des bras de rivière, grimpe des talus, accélère le pas, enchaîne les sauts d’obstacles, troncs couchés, murs de pierre, et s’engouffre dans les profondeurs de la forêt. Les dangers se multiplient, pas question de ralentir l’allure. Elle admire la vaillance de son destrier. Cette chaleur qui l’enveloppe, ce souffle puissant et haletant fumant aux naseaux du cheval, tout cela la grise, elle se sent alors pareille au centaure, unie à la bête par la chair et l’esprit. Derrière elle, Main-gauche regagne du terrain sans parvenir à conquérir ces derniers mètres décisifs qui lui feraient prendre les devants. Pourtant, il se rapproche encore, pied à pied, mais quand il croit pouvoir dépasser la frondeuse, faire cesser l’humiliation, la cavalière, plus rapide, change soudain de direction. Elle évite de justesse d’être assommée de plein fouet par ces larges branches barrant la route, et dévale un sentier pentu.
Main-gauche s’est laissé surprendre. De nouveau, l’écart se creuse. Maudite garce ! se dit-il. Autrefois, j’admirais presque ta supériorité, aujourd’hui, elle m’est insupportable .
La course est finie, les cavaliers sortent de la forêt.
Lamortdieu rejoint l’Alouette qui l’attend au pied d’un étang. Alors que Main-gauche se tient à l’arrêt, les traits crispés, elle sourit, le moque, le provoque et finit par sauter à terre. Ce compagnon la connaît depuis trop longtemps, elle n’a rien à lui cacher, pas même son corps, son corps qui a pourtant bien changé en dix années. Oui, sans pudeur, sans arrière-pensée, aussi pure que l’eau fraîche et vive reposant dans cette clairière, elle se déshabille, jette ses vêtements en tous sens, montre à cet équipier tourmenté (hésitant à détourner la vue) la chute sublime de ses reins, les courbes de cette silhouette devenue celle d’une femme dans toute la fleur de sa beauté, et s’enfonce dans l’onde jusqu’au cou. Elle est heureuse ! Si heureuse ! Son cœur déborde de joie et d’espérance, elle aime tant nager, sentir ces frissons sur sa peau, ce vent caressant courir dans ses cheveux, effleurer ses joues… elle aime ces reflets, ces scintillements d’or et d’argent danser, notes fugitives, sur la surface des flots, vivant miroir, lit de la vie ! Vous êtes dans l’erreur,vieux fous, vous les docteurs, jésuites et sonneurs de cloches, ennemis de la chair et médecins de l’âme, qu’allez-vous chercher votre salut dans une église sans lumière, froide comme une cave, sinistre comme une tombe ! Les arbres, les sources et les monts ont tout à vous offrir : la paix et la connaissance, les fruits de la vigne et le lait de la tendresse humaine ! Ne cherchez plus dans la souffrance et la mort les béatitudes prochaines et les consolations illusoires, la nature est le véritable royaume de Dieu ! C’est ici dans ce bassin, pour qui veut bien l’accueillir, se laisser envahir, que s’ouvrent les portes du Ciel !
Mon bouclier, ma cuirasse
Margaux finit par revenir au rivage. Main-gauche l’y attendait fébrile, en tenant le manteau de la frondeuse entre ses mains. Quand elle sort de l’eau, se montre de face, continuant d’exposer indécemment ses formes virginales, le brigand, à la fois fasciné et des plus embarrassé, finit par baisser les yeux. Margaux prend sa cape et se sèche aussitôt, avant de se rhabiller.
— Si Lanteaume te voyait ! ne peut s’empêcher de dire Main-gauche, sur un ton de reproche.
— Eh bien, justement, répond la frondeuse en boutonnant son pourpoint, profitons de son absence, la vie est trop courte, la jeunesse trop éphémère pour laisser fuir le temps et renoncer à ses désirs.
Lamortdieu aimerait bien en dire autant, il ne le peut plus.
— Pourtant, si nos désirs ne
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