Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
êtes-vous ? demandent-ils.
Jean Hackard de La Hache se tourne vers son père. Son regard veut dire : Je ne peux pas leur dire la vérité.
— Un ami de la famille, dit-il en mettant sa main dans les cheveux du garçon.
Germain nous accompagne à la porte.
— Vous reviendrez et nous parlerons, dit-il à son fils. Nous avons bien des choses à nous dire.
— J’aurai grand plaisir à bavarder. Hélas, pour l’heure et les jours à venir, je ne dispose pas de mon temps. Du reste, comme la plume au vent, je suis toujours en mouvement. Je vous salue, maître de La Hache.
Les pourparlers
« Oui, reprend d’Artagnan à l’intention du roi, nous devons repartir à brides avalées. Il faut arriver en avance. Nous piquons des deux.
Cette fois la réunion va avoir lieu en plein jour.
C’est un retour au commencement. Nous laissons nos chevaux à l’écart, dans les bois, et nous marchons vers les ruines du château.Arrivés au-devant d’un pan de mur écroulé, envahi par le lierre et le chiendent, nous longeons la défunte propriété féodale jusqu’à remonter vers la cour intérieure. Il faut avancer au milieu d’un champ d’épines, avec le tranchant de l’épée. L’endroit où nous décidons de faire halte devrait tout à la fois nous placer au plus près des interlocuteurs et nous garder à couvert. Nous nous baissons. En contrebas, le long d’un chemin de terre remontant vers ce qui devait être la porte fortifiée du domaine, apparaît un groupe de cavaliers pris dans un nuage de poussière. Des traits d’acier brillent par places au sein de cette phalange réputée pour ses interventions spectaculaires, aussi soudaines qu’expéditives. Car, à n’en pas douter, ces cavaliers-là sont menés par Lanteaume.
Nous sommes agenouillés dans l’ombre la plus fraîche et la plus profonde, ils progressent en plein soleil. Nous n’avons qu’à lever légèrement la tête pour les voir passer l’entrée : un large portail décoiffé, ouvert aux quatre vents.
Ils se dispersent.
Au même instant, un carrosse et huit cavaliers arrivent par une route opposée. Cette fois, c’est notre entremetteur, tenu sous bonne garde. Lanteaume va enfin savoir pourquoi on le convoque sur ses terres.
Le carrosse se range.
Les armoiries sont cachées. Les cavaliers portent un fol visage, tout comme le passager de la voiture à qui l’on ouvre la portière en l’invitant à descendre. Monsieur Hubert de Gaillusac ne montre pas encore ses traits sévères, mais nous avons appris à reconnaître son allure de coq et sa mine empesée… et nous savons quel rôle il joue dans cette histoire. Il est fort à son avantage, le manteau jeté négligemment sur l’épaule, en tenue chamarrée, coiffé d’un feutre chargé de plumes d’autruche, chaussé de bottes à larges revers, bottes portant les honorables distinctions propres aux hommes de marque : talons rouges, éperons d’argent. Il faut impressionner ces amateurs de butin, leur prouver, par truchement interposé, que les commanditaires, en cette affaire incessamment négociée, sont aussi riches que puissants.
Lanteaume laisse l’arrièregarde tenir la sortie. Il s’avance avec son lieutenant, Main-gauche, cavalier noir à la triste figure.
— Voyez cet homme, me murmure don Juan de Tolède en me le désignant, ma main à couper que ce Main-gauche, à ladroite de Lanteaume, est le Lamortdieu que je connus à Rouen… il y a vingt-cinq ans.
Lanteaume reste à cheval, il s’avance vers l’ambassadeur. Tout munificent qu’il soit, le porte-parole reste un modeste piéton placé sous l’ombre du cavalier. Le digne général, couvert de boue et auréolé de fumée, portant pour bannière une écharpe noire nouée à la taille, écrase le représentant en habit de fonction.
La place est bonne, nous allons pouvoir tout entendre.
— Monsieur, dit le brigand, j’aime savoir qui me paie. Or, j’ignore votre nom et vous me cachez trop prudemment votre bon visage.
— N’ayez crainte, monsieur Lanteaume. Dès que vous aurez mis pied à terre pour accepter d’une poignée de main le marché que j’ai à vous offrir, je ferai tomber le masque et nous nous saluerons de pair à compagnon .
— Voilà qui plaît à entendre. Quel est l’enjeu et quel est le prix ?
— D’abord l’enjeu. Il s’agit d’abattre un homme… de prestige. Nous souhaitons mobiliser votre régiment, et vous confier le commandement de l’attaque.
Lanteaume fait faire
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