Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
quelques pas à sa monture. Il tourne autour de son interlocuteur sans le quitter du regard. Un regard de feu. Gaillusac doit commencer à avoir chaud dans ses beaux vêtements. Revenu à son point de départ, après avoir accompli un cercle complet lui ayant permis de mieux jauger son interlocuteur, de l’admirer tout à son aise dans ses fines dentelles et ses velours brodés d’or et de pierreries, Lanteaume a repris sa position initiale, il se fait bien comprendre.
— Les mœurs changent, moi pas. Il n’est pas dans mes habitudes d’aligner vingt canons pour un homme, on vous aura mal renseigné, serviteur, monsieur.
Lanteaume s’apprête à tourner le dos, à ordonner le départ avancé, à planter là l’ambassade de nos messieurs les Importants, Gaillusac doit réagir promptement. Il ne se laisse pas démonter. On le traite de lâche, il méprise la remarque et reste sur sa note : grand seigneur.
— Sachez tout d’abord que ce boutefeu qu’il faudrait cribler de plomb pourrait voyager avec le soutien d’une escorte.
Lanteaume s’arrête. Une escorte , cela devient plus sérieux, suffisamment pour retenir son attention ; voyant cela, Gaillusac poursuit, continuant de le porter haut, il présente les choses comme s’il avait le pouvoir de les ordonner à sa guise :
— Si une rangée de mousquets devra concentrer ses tirs sur le point de mire, ce qu’il vous restera d’arquebusiers à disposition aura toute liberté d’observer l’étiquette, en faisant déchoir le reste du groupe au coup par coup.
Lanteaume se rapproche de son interlocuteur, jusqu’à l’obliger à faire un pas de retrait.
— Il s’agit donc d’une embuscade.
Gaillusac reste droit, plein de défi.
— Dans la pure tradition du genre. J’insiste, monsieur Lanteaume. Nous voulons déclencher la colère du Ciel, le tonnerre, la grêle, un déluge de feu.
— En somme, une cérémonie en grande pompe, conclut Lanteaume en conservant également ses positions et son ironie glaciale.
— Ce dernier est en effet l’un des premiers, venu des bas-fonds jusqu’au balcon avec l’agilité d’un singe. Au demeurant, il allie fort bien la ruse à la souplesse, cela acheva d’ailleurs sa progression vers les sommets.
— Diable, votre citoyen serait-il pensionnaire au Palais-Royal ?
Gaillusac confirme, en précisant encore :
— En effet . Ce joueur de brelan, le parangon des tricheurs et des escrocs, ne siège au Louvre que pour avoir le loisir de plonger chaque jour plus avant sa main dans les caisses du Trésor.
— Peste !
L’ambassadeur respire à présent le parfum de sa victoire. Lanteaume a bien failli le laisser à sa honte, mais Gaillusac a su réveiller le courroux du brigand taciturne en jetant par pincées du venin sur ses plaies, il le tient. Maintenant, il ne faut plus le lâcher.
— Oui, monsieur, ce parvenu, vous l’avez bien compris, est monseigneur le cardinal de Mazarin. Alors, qu’en dites-vous ?
Le nom enfin prononcé, après attente, déploie en effet toute sa pourpre dans les esprits. Ce rouge-là appelle le sang, le sang de la vengeance, le sang de la colère.
Lanteaume tire sur la bride, sa jument relève l’encolure, et d’un geste lent, le cavalier tend son bras de fer, sa main gantée désigne les troupes aux arrières, sa brigade de coupeurs de gorge.
— … Il est vrai qu’un tel gibier mériterait bien qu’on lance après lui tous les bouviers de sa meute.
Gaillusac est satisfait, il peut friser sa moustache.
— Nous nous chargerons de conduire la Bête au centre de la clairière, dit-il, là où votre soldatesque l’attendra de pied ferme, interdisant toute échappée.
— Certes, en cette occasion, je pourrai faire une entorse au règlement. Maintenant, le prix.
— Comprenez, monsieur Lanteaume, que si je vous ai donné rendez-vous ici même, ce n’est point par hasard. Nous vous proposons justement de retrouver votre place, de reformer le cercle brisé jadis par le marteau du bourreau Richelieu.
Lanteaume garde le silence, jauge son interlocuteur avant de le questionner, avec morgue :
— Vous seriez assez influent, assez puissant pour cela ?
Gaillusac se rengorge :
— Je ne suis qu’un ambassadeur. Mais ceux qui m’engagent, ceux qui vous paieront, comptent parmi les premiers noms du royaume de France. Certains d’entre eux sont peut-être des descendants de ceux qui furent par ailleurs les amis de feu votre père.
En vérité, notre Mercure eût
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