Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
mieux fait de se taire sur ce chapitre.
Il pensait prendre son interlocuteur par les sentiments, mais les sentiments de Lanteaume ne sont pas ceux qu’ils espéraient. Le brigand se cabre, le front haut, il parle avec éloquence :
— Ces amis-là se sont bien gardés de se faire reconnaître comme tels au jour de son jugement. Ma mère est morte sans les revoir, épuisée de chagrin. Et voilà qu’après tant d’années, ces honorables familles se souviennent de cet orphelin qui, au retour d’une longue marche dans les cercles de l’enfer, délivré des freins de la superstition, serait assez aguerri pour occire par le fer et par le feu un cardinal régnant à couvert, tel le prince de ce monde dans les coulisses de Rome, sur les affaires du royaume !
Gaillusac doit la jouer fine. Il faut maintenant envoyer la repartie, dompter ce lion.
— Tout est affaire de circonstances. Délivrez votre rancune en égayant votre force sur la voiture de Mazarin. Puis venez, débarrassé de toute vindicte personnelle, recevoir votre juste tribut : dignités, honneur, gloire et richesse. Les princes, ces Grands,croyez-moi, sont à deux pas des pleins pouvoirs. Il suffit que passe Son Éminence et ils remonteront sur le trépied. Ils auront alors assez d’influence pour gouverner la reine et l’inviter à rendre justice aux véritables serviteurs de la Couronne. D’ailleurs, le peuple en liesse et la cour au triomphe l’y pousseront. Vous aurez la France derrière vous. Si haut soit-il, Mazarin ne tient que sur un fil. Tranchez-le d’estoc ! Le roi est un enfant, il ignore tout du vrai visage de son éducateur, nous nous chargerons de lui ouvrir les yeux et de lui faire comprendre que vous l’avez débarrassé de son mauvais génie. Servez-vous de ces maîtres comme ils se servent de vous pour conquérir votre liberté et restaurer la grandeur de votre nom. L’opportunité ne se présentera pas deux fois. Les astres sont de votre côté. Il faut agir avant l’éclipse.
— De belles paroles, monsieur, elles me vont droit au cœur. Mais je ne suis pas homme à me repaître de vent et de fumée. Aussi, j’entends avoir sous les yeux des engagements écrits.
— Hélas, ils seraient bien difficiles à obtenir.
Cette fois, c’est Main-gauche qui prend la parole :
— Si vous n’êtes qu’un ambassadeur, vous n’êtes qu’un valet. Or, pour ne pas être renvoyé comme un chien, pour garder la main, un valet n’a qu’une solution : faire chanter son maître, le tenir à la gorge. Vous avez des garanties, cela ne fait aucun doute, nous exigeons les nôtres.
Lanteaume fait signe à son second de lui laisser désormais la parole.
— Mon lieutenant a raison. Vous n’êtes pas venu les mains vides, n’est-ce pas ? C’est bien essayé, mais si vous voulez traiter, il faudra vider le fond du sac.
Le silence revient, les chevaux hennissent. Le vent fait trembler les plumes de couleur au sommet des couvre-chefs. Gaillusac finit par lever la main. C’est un signal. Un autre homme sort de la voiture. Celui-ci conserve également l’anonymat, mais je devine l’éminence grise sous le masque rouge.
Fargis se place au côté de son employeur et sort un document, roulé sous son pourpoint. Il le place dans la main ouverte de l’ambassadeur.
— Vous semblez en effet être l’homme de la situation, monsieur Lanteaume. Vous êtes perspicace. Seulement, nous avons un problème. Ce document est une pièce unique. Il n’y aura pas decopie, ni de double. Comprenez-moi bien, il ne suffit pas de claquer des doigts pour réunir au complet les organisateurs de cette conspiration. J’ai eu grand mal à obtenir cette pièce… Tout est couché par écrit, effectivement. C’est un pacte… écrit avec le sang de ses membres, signé par des sceaux authentiques.
Nous nous regardons, Amadéor et moi-même. Regard de connivence. Ainsi Hubert de Gaillusac avait donc pris ses précautions, et ce avant même que son épouse, suivant ces consignes que lui dicta Edmond de Villefranche en notre nom, l’engage à protéger ses arrières.
Mais laissons conclure l’ambassadeur :
— En haut, vous avez inscrit la date du jour où fut signée cette lettre. Vient ensuite le serment, la résolution clairement formulée d’attenter à la vie du cardinal de Mazarin… en déléguant l’exécution de l’opération au brigand d’honneur Hyppolite de Lanteaume.
Celui-ci rit sans pudeur. Un rire terrible.
— Je vois que
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