Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
m’approcher trop près. Quand il a fini d’agir, l’aventurier m’entraîne à l’écart.
— Comment va-t-elle ? dis-je en désignant la jeune femme.
— La blessure n’est pas trop grave, mais elle perd du sang. Quant au choc qu’elle a reçu, il ne semble pas inquiétant.
— Et l’autre ?
— Main-gauche ? Je ne suis pas allé voir. Nous devons rapidement dresser nos plans. Je vous donne mon idée, et vous me dites ce que vous en pensez. Je vais conduire l’Alouette à son camp, chez Lanteaume.
— Comment ferez-vous pour le débusquer ? On le dit introuvable.
— On le dit, oui. Mais le propre d’un agent du renseignement, c’est de savoir avant l’heure ce que tout le monde ignore encore.
— Fort bien. Mais une fois là-bas, que leur direz-vous, pour expliquer votre intrusion ?
— J’improviserai, je trouverai.
— Bon. Et le parchemin de Lanteaume ?
— J’en fais mon affaire. Retrouvons-nous ici, dans deux jours, à la nuit tombée. Informez le cardinal, il nous donnera de prochaines directives. De votre côté…
— Je reste un homme mort.
— Hélas. Vous faites un si bon vivant.
— Rassurez-vous, je continuerai de poursuivre d’outre-tombe mes enquêtes et mes poursuites. J’aviserai avec Son Éminence, mais je crois qu’elle me conseillera de diriger mon attention vers la maison de notre ambassadeur.
— À dans deux jours, donc. Serrons-nous la main et filez vite avant que l’un de ces deux assommés ne revienne à lui. »
… Mon plus fidèle serviteur
Au château de Saint-Germain, le narrateur d’Artagnan est interrompu. On frappe à la porte. Le cardinal a besoin urgent du chevalier. Celui-ci s’absente, en s’excusant auprès du roi. Il revient quelques instants plus tard, pour repartir à nouveau.
Mais cette fois, l’interruption pourrait se prolonger.
— Sire, je vous demande de bien vouloir prendre patience. Son Éminence souhaite me confier une mission d’importance. Cela devrait me prendre une journée ou deux.
— Mais, monsieur… notre histoire… Le cardinal n’a-t-il d’autres hommes sous la main ? Ne peut-il vous laisser tout à moi ?
— Votre Majesté, je suis un soldat, un mousquetaire. J’obéis aux ordres de mes supérieurs, sans les discuter. Son Éminence doit avoir ses raisons, et je gage que ses raisons servent vos intérêts au tout premier chef, car ses raisons, en la situation présente, sont à n’en pas douter des raisons d’État.
— Eh bien, qu’il en soit ainsi. Mais il me tarde d’être en âge de gouverner, et d’être à même de les prendre moi-même, ces décisions. Chevalier, vous m’avez rendu l’espoir, la joie, la confiance ; ces forces vives que je laissai après moi, en quittant le Palais-Royal en cette triste nuit de fête. Mais revenez vite. Vous me laissez à un tournant de votre histoire, sinon insatisfait, du moins plein d’attentes.
— Sire, je vous en fais la promesse.
— De grâce, quoi que vous ayez à faire, ne laissez pas ces frondeurs vous mettre en joue ou vous tendre de vilains pièges. Je tiens à vous comme…
Le roi hésite à révéler sa pensée profonde, libérée sous le coup de l’émotion. Il voudrait dire : comme à un père, mais cela est par trop contraire au respect des choses. Ces mille choses qui font une barrière infranchissable entre un simple sujet, tout chevalier soit-il, et son monarque. Louis XIV n’est qu’un enfant de dix ans, mais c’est parce qu’il se sent en effet prématurément devenir un homme que ce qui aurait pu lui échapper, il y a peu, ne franchit pas le bout de ses lèvres.
— … Comme à mon plus fidèle serviteur.
— Merci, Votre Majesté. J’aurai grande joie à vous retrouver et à reprendre le cours de ces aventures. Je vous salue, mon roi, et que Dieu vous tienne en Sa sainte garde.
Ce disant, d’Artagnan adresse sa révérence au jeune Louis XIV avec tout le respect de l’étiquette et sort de la pièce.
À tout dire, il n’est pas mécontent de prendre un peu l’air, de se dégourdir les jambes, de se remuer le sang dans les veines…
« Diable, avec un peu de chance, peut-être pourrai-je rendre une discrète et secrète visite à madame de Beaulieu, notre bien belle et bien tendre maîtresse.
Pour cela, il faudra encore cacher son visage sous un foulard, marcher à pas de loup à la nuit fermée, devenir ombre parmi les ombres, car la belle est à Paris.
Et Paris est désormais à l’ennemi…
Allons,
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