Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
à lui plutôt qu’à un autre qu’on venait s’adresser.
Il avait parfois besoin d’une petite main quand la besogne exigeait du renfort. C’est ainsi qu’il fit appel à moi. Il m’avait vu à l’œuvre contre trois hommes, venus me chercher querelle, au coin de cette fameuse adresse où il recevait ses instructions et touchait sa prime. Admiratif de mon sang-froid, de mon coup de poignet, il me proposa la moitié de ce qu’on lui versait si j’acceptais de les mettre à son service, pour une nuit.
Nous conclûmes le marché d’une poignée de main.
On se retrouva le soir. Il s’agissait d’occire un père de famille, de bonne maison, riche à millions, mais en brouille avec monsieur son fils, à qui il refusait les cordons de sa bourse. Celui-ci avait un goût prononcé et notoire pour le jeu et la dépense. Afin de hâter la transmission de l’héritage qui le mettrait définitivement à l’abri du besoin, le fils était venu solliciter le concours de Tamerlan. Il le paierait une fois le donateur expédié, à l’aide de cette fortune qu’il devait percevoir. Tamerlan avait besoin de moi car le client marchait de compagnie, sa garde personnelle ne l’abandonnant qu’au pas de la porte. Nous ferraillâmes en pleine rue, il faisait nuit noire, nous en sortîmes indemnes. Mais à l’instant où Tamerlan remit son épée au fourreau, alors que les morts couchaient à nos pieds, une voiture passa et se rangea devant nous avant que l’on pût tirer nos guêtres. Le passager sortit du coche, l’épée à la main, comprenant aussitôt quel drame venait de se jouer là, désireux en sa qualité d’honnête d’homme d’empêcher la fuite de ces criminels.
Nous avions le visage couvert d’un foulard, mais en voyant s’approcher l’homme, Tamerlan baissa le sien. Il venait de reconnaître un compagnon d’armes. C’est ainsi que j’appris le véritable nom de mon recruteur : Henri de Maisonneuve. Ce nom tomba comme un cri de stupeur. Henri ou Tamerlan, comme il plaira, me commanda de rester à l’écart. Mais je savais que le cocher pouvait parler, dénoncer le criminel dont il avait entendu le nom. Mon devoir était de protéger mon équipier, alors que la voiture allait partir, je me suis hissé sur le marchepied et j’ai terrassé le conducteur.
Pendant ce temps, de son côté, mon compagnon dut engager le fer contre un ancien ami, il n’avait pas le choix, il le tua.
Laissant la voiture immobile, nous partîmes, peu fiers, le travail était terminé.” »
Choix politique
— Quelle histoire ! dit le roi.
— Et quel bouleversement pour don Juan de Tolède, en apprenant ces faits passés sous silence. Mais l’étonnant ne s’arrête pas là. Vous l’avez peut-être compris, Majesté, ce jeune héritier sans frein ni scrupule qui commanda l’assassinat de son père, c’est cet homme qui vendit de fausses lettres à notre héros Amadéor, à Jean Hackard de La Hache. Voilà pourquoi, dans l’assaut, avant de mourir de la main de celui qu’il avait engagé peu avant, il reconnut si bien, avec tant de stupéfaction, l’homme n’ayant qu’un bras.
« Mais ce n’est pas fini.
Ce que Lanteaume sut, ce que Tamerlan ignorait au moment de son arrestation, ce qu’il va apprendre à don Juan de Tolède, c’est qu’Henri de Maisonneuve était condamné à terminer ses jours sur l’échafaud.
Quand il fut mis aux fers pour avoir défié outrageusement l’édit sur les duels, une lettre de cachet allait venir le saisir à sa porte. Pourquoi ? Lanteaume l’apprit ensuite, le cocher n’était pas le seul témoin de la scène, le seul auditeur à avoir entendu le nom du tueur, il y avait un autre passager dans la voiture. Ce passager, sentant le danger, comprenant qu’il jouait sa vie s’il ouvrait labouche ou laissait échapper un cri de terreur, ce passager se coucha au sol, se recroquevilla sous les sièges, afin de n’être pas aperçu, si l’on venait vérifier que la cabine fût bien vide. Ce passager, c’était un enfant, un enfant de huit ans, ce passager, c’était le fils de l’ancien compagnon d’armes d’Henri de Maisonneuve. Et c’est lui qui vint rapporter l’histoire, dénoncer l’homme qui avait tué son père, à la pointe de l’épée.
Don Juan de Tolède se jugea toute sa vie responsable de la mort de son mentor, mais en vérité, cette mort, ce jugement, cette fin tragique, l’ancien mousquetaire ne pouvait y échapper.
Du reste,
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